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Analyse

Algérie : l'impossible dialogue d'Abdelkader Bensalah

L'instance voulue par le président par intérim, censée amener le pays vers une élection présidentielle, est critiquée à la fois par la rue et par le puissant chef d'état-major.
Le président algérien par intérim, Abdelkader Bensalah, le 9 avril à Alger. (Photo Ramzi Boudina. Reuters)
publié le 30 juillet 2019 à 19h03

Après l'élection présidentielle sans candidats, l'Algérie est-elle en train d'inventer le dialogue sans interlocuteurs ? Début juillet, le chef d'Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, avait annoncé la mise en place d'une instance composée de «personnalités nationales crédibles, indépendantes, sans affiliation partisane et sans ambition électorale» pour mener le «dialogue inclusif» censé préparer la tenue d'un scrutin présidentiel libre et transparent. Mais ce «panel», reçu jeudi par le Président, est déjà critiqué de toute part.

Les manifestants du Hirak («mouvement») lui reprochent d'abord sa composition. L'instance – dirigée par Karim Younes, un ancien ministre puis président de l'Assemblée populaire nationale – ne comporte aucune grande figure de la contestation parmi ses sept membres. En quête de légitimité, elle a proposé lundi à une vingtaine de personnalités de la rejoindre. Cinq ont déjà décliné, dont les avocats respectés Mustapha Bouchachi et Mokrane Aït Larbi ainsi que les anciennes combattantes de la guerre d'indépendance Djamila Bouhired et Drifa Ben M'hidi. En cause : le mandat restreint confié à l'instance (elle doit uniquement se concentrer sur l'organisation du scrutin présidentiel), les doutes sur son indépendance, l'absence de garanties données par le pouvoir, et surtout le rejet exprimé dans la rue dès vendredi, puis à nouveau ce mardi, par les manifestants algériens.

«Semaine décisive»

Pour l'instant, le régime lui-même ne facilite pas le travail du panel. Jeudi, celui-ci avait posé sept «conditions avant toute entame de médiation», dont «la libération de tous les détenus du Hirak», «l'allégement du dispositif policier, notamment dans la capitale lors des marches hebdomadaires», «la libération du champ médiatique», et enfin «le départ du gouvernement en place et son remplacement par un gouvernement de consensus, formé de technocrates non partisans». Malgré les assurances verbales d'Abdelkader Bensalah, aucune de ces exigences n'a pour l'instant été concrètement satisfaite. Le patron du panel, Karim Younes, a pourtant prévenu que «cette semaine sera décisive» : «Si les engagements pris par la présidence ne connaissent pas un début d'exécution, le panel se réunira et examinera l'éventualité de la suspension de ses travaux et pourra même aller jusqu'à son autodissolution.»

Le plan B de sortie de crise dessiné par Bensalah (le plan A était la présidentielle du 4 juillet, boycottée par les Algériens) est-il à son tour destiné à être avorté ? Contre toute attente, le coup de grâce pourrait venir du général Gaïd Salah, officiellement vice-ministre de la Défense mais aujourd'hui le véritable homme fort du régime. Tout en rappelant que «la voie du salut est celle du dialogue intègre», le chef d'état-major a fustigé, mardi, dans son traditionnel discours aux forces armées, les demandes du panel, qualifiant ses conditions préalables de «diktats». «Il n'est plus question de perdre davantage de temps», a tonné le vieux compagnon de route d'Abdelaziz Bouteflika, qu'il a lui-même poussé à la démission le 2 avril.

«Aucune anomalie»

L'appel à la libération des détenus, qualifiés à tort de «prisonniers d'opinion», est selon lui une «idée empoisonnée» puisqu'elle interférerait avec le travail de la justice. La demande «d'atténuation des mesures sécuritaires» est qualifiée «de suspecte et illogique» puisqu'elles sont naturellement prises pour «l'intérêt du peuple et non le contraire». Quant à la démission des cadres de l'ancien régime, réclamée semaine après semaine par le Hirak, il n'en est pas question. «Nous n'avons enregistré aucune anomalie dans la performance de ces responsables patriotiques dans le fonctionnement de ces institutions», a expliqué Gaïd Salah, qui a martelé que l'institution militaire ne «déviera jamais de sa position constante en ce qui concerne l'attachement au cadre constitutionnel», seule alternative à «l'anarchie et l'inconnu».

Pour Abdelkader Bensalah, la marge de manœuvre est donc étroite… voire inexistante. D’un côté, personne ne l’imagine braver les instructions de Gaïd Salah. De l’autre, s’il ne répond pas favorablement aux premières revendications du panel, son instance n’a aucune chance de gagner en crédibilité. Le dialogue inclusif pourrait très vite tourner au dialogue de sourds.