Si le roi du Maroc, Mohammed VI, a fait le bilan de ses vingt ans de règne lors de son discours annuel, le 29 juillet, en évoquant, parmi les points négatifs, les conditions de vie difficiles et les inégalités sociales toujours très prégnantes dans la société marocaine, il n’a fait nulle mention du système éducatif défaillant. Pourtant, le sujet est au cœur de l’actualité et de polémiques liées à des questions idéologiques telle que l’identité nationale. Avec la réforme en cours, le Maroc s’apprête à mettre fin à trente ans d’arabisation du système scolaire pour remettre le français au premier plan.
L’arabisation de l’enseignement est en effet intervenue au Maroc au début des années 80 pour renouer symboliquement avec l’identité nationale après le protectorat et renforcer aussi, à l’échelle politique, le rôle des conservateurs face à la gauche contestataire. Le problème est qu'une grande partie de l'enseignement supérieur et le monde du travail n’ont pas suivi la vague… Si l’arabe et l’amazighe (berbère) sont les deux langues officielles au Maroc, c’est le français qui est largement utilisé dans la vie professionnelle. En 2018, le Maroc compte environ 12,7 millions de locuteurs français sur 35 millions d’habitants.
L’absurdité du système éducatif marocain tient au fait que les matières qui étaient initialement enseignées en arabe le deviennent en français sans transition. Une situation paradoxale qui conduit beaucoup de responsables politiques favorables à l’arabisation de l’enseignement à inscrire malgré tout leurs enfants dans des écoles étrangères, en premier lieu françaises, très onéreuses.
L’identité nationale en question
Ce serait pour plus de cohérence et de continuité entre l'enseignement primaire et secondaire, d'une part, et l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle, d'autre part, que la loi-cadre portant sur la réforme de l'éducation a été adoptée à la majorité par la première chambre du Parlement, le 22 juillet. La majorité des députés du parti islamiste (PJD), à la tête de la coalition gouvernementale, se sont abstenus de voter les articles concernant l'alternance linguistique, en remettant sur la table la question de l'identité nationale. L'ancien chef du gouvernement issu du PJD Abdelilah Benkirane, toujours très populaire, a fustigé récemment «un scandale», «une catastrophe pour l'enseignement public au Maroc», dans une vidéo diffusée sur sa page Facebook, suivie par 300 000 personnes. «Comment un parti au référentiel islamique peut-il abandonner l'arabe pour le remplacer par la langue de la colonisation ?» s'est-il indigné, en soulignant que «la majorité du peuple marocain ne maîtrise pas le français».
Quoi qu’il en soit, le virage à 180 degrés impulsé pose la question de la capacité des enseignants et des élèves à basculer d’une langue à l’autre sans que leur apprentissage en pâtisse. Autre point d’achoppement : la pertinence du choix du français par rapport à l’anglais. En réalité, ce changement de langue est amorcé dès 2013 avec l’ouverture de sections internationales dans l’enseignement secondaire qualifiant et, depuis deux ans, avec l’enseignement des matières scientifiques en français au niveau du collège.