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Interview

Marie-Hélène Jeuffroy : «Nous avons intérêt à laisser les zones montagneuses en prairies avec des animaux»

Pour la chercheuse Marie-Hélène Jeuffroy, nos filières agricoles ne sont pas adaptées au tout végétal.
Un troupeau de vaches à La Bresse, dans les Vosges, en juillet. (Photo Patrick Hertzog. AFP)
publié le 7 août 2019 à 21h06

L’agronome Marie-Hélène Jeuffroy est directrice de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et travaille sur le changement des pratiques culturales. Selon elle, la conversion des terres pour cultiver plus de végétal a ses limites.

(Photo DR)

Comment notre système agricole devrait-il évoluer si l’on devenait tous végétariens ?

Cela poserait un problème d’optimisation des terres agricoles en France, dont un certain nombre ne peut être valorisé que par de l’élevage. Nous avons intérêt à laisser les zones montagneuses en prairies avec des animaux. Retourner cette terre pour la cultiver libérerait des gaz à effet de serre. Il faut réduire notre consommation de protéines animales et augmenter la consommation de produits végétaux.

Peut-on substituer certaines cultures en France ?

Récemment, on importait 80 % de notre consommation en légumes secs (lentilles, pois chiches, haricots, pois cassés, fèves). Pourtant, on en mange très peu : 1,5 kg par personne et par an en moyenne, contre 8 kg dans les années 40 ou encore 10 kg dans des pays voisins. Si cette consommation remontait et qu’elle était basée sur des produits français, on pourrait changer pas mal de cultures. Or les filières ne se sont pas organisées pour. Les conditions technico-économiques ont été très favorables au développement du blé, du maïs et du colza, ce qui a créé un verrouillage.

Quels territoires ont amorcé une bascule vers plus de végétal ?

On voit les prémices de cette bascule, comme dans l’Yonne qui cultive des lentilles. Dans le Sud-Ouest, près de Toulouse, il y a une dynamique autour des légumes secs. Une coopérative agricole les développe et fait intervenir un sélectionneur local pour travailler avec des variétés mieux adaptées au terroir. Mais cela reste fragile et minoritaire. L’économie globalisée ne facilite pas le développement des niches. La France a pourtant une forte diversité de territoires. On a d’abord pensé que le pois chiche ne pouvait pousser que dans le Sud-Est, maintenant il gagne le centre de la France avec de bons rendements. Les pratiques culturales changent avec le réchauffement climatique, en intégrant des arbres dans les cultures pour faire de l’ombre.

Y a-t-il un risque d’intensifier l’importation de quinoa bolivien ou de lentilles du Canada par exemple, ce qui renforcerait les émissions ?

Oui. Les politiques publiques sont complètement contradictoires. D’un côté, il faudrait développer les régimes basés sur le végétal et diversifier. De l’autre, les politiques favorisent des conditions qui vont à l’encontre de ça. Le Ceta, qui vient d’être conclu avec le Canada, ouvrira la porte à des importations massives, y compris de légumineuses. C’est catastrophique.

Est-ce avantageux pour un agriculteur d’abandonner le blé, le maïs ou l’élevage pour le sorgho, dans le Sud par exemple ?

Certains ont des modes de production très différents des agriculteurs «standards». Ils ont gardé de l’élevage et ont des cultures diversifiées, moins intensives. Leurs résultats sont très bons. Oui, un autre équilibre économique est possible. Mais passer d’un système à l’autre est très compliqué. Les agriculteurs sont perdus. Dans les lycées agricoles, l’information commence à changer. On se tourne davantage vers l’agroécologie, mais c’est très récent.

Faudra-t-il être plus attentif au potentiel nutritif des végétaux ?

Oui. Il y a une prise de conscience. Cela était moins pris en compte dans les dernières décennies, l’objectif était le rendement, la baisse des prix de production, l’intensif. On commence à sélectionner à nouveau des variétés qui ont une meilleure qualité nutritionnelle. Il va y avoir du changement.