Le Kirghizistan connaît une escalade de violence. Jeudi, à l’issue d’un deuxième assaut, les forces de l’ordre ont arrêté l’ex-président, Almazbek Atambaïev, qui vivait retranché dans sa résidence à Koï-Tach, un village non loin de la capitale Bichkek. D’après l’AFP, qui cite le site web local 24.kg, l’homme de 62 ans se serait rendu de son propre chef. La veille au soir, une première opération policière, ordonnée par l’actuel président Sooronbaï Jeenbekov, s’était soldée par un échec : un membre des forces spéciales tué, le chef de la police dans un état critique, une cinquantaine de personnes blessées, tout ça sans parvenir à mettre la main sur Atambaïev.
De quoi est accusé l’ancien président ?
A la tête du Kirghizistan de 2011 à 2017, Almazbek Atambaïev a été inculpé fin juin pour corruption par la justice. Il est notamment soupçonné d'enrichissement personnel – «acquisition illégale de terres» – et d'abus de pouvoir pour «avoir fait libérer un membre d'un clan mafieux». Pour Almazbek Atambaïev, ces accusations sont «absurdes». Opposé à toute tentative d'arrestation, il dénonce une attaque politique de son successeur Sooronbaï Jeenbekov. Il a d'ailleurs refusé par trois fois de se présenter devant les tribunaux kirghizes. Et ce malgré la levée de l'immunité dont il jouissait grâce à son statut d'ex-président. Plus tôt en mai, le nouveau président ratifiait une loi permettant de retirer l'immunité judiciaire à tous les anciens présidents du pays. Une mesure qui a un peu plus dégradé les relations entre les deux hommes.
Pourquoi la première tentative d’arrestation a-t-elle échoué ?
Un premier assaut des forces spéciales kirghizes a été lancé mercredi en début de soirée, mais près d'un millier de partisans de l'ex-président se sont rassemblés pour le défendre. Un affrontement tendu a donc eu lieu entre les pro-Atambaïev et la police. «L'ancien président a beaucoup de soutiens et Sooronbaï Jeenbekov est loin de faire l'unanimité au Kirghizistan, explique à Libération René Cagnat, spécialiste de l'Asie centrale. D'autant que dans la région autour de Koï-Tach, c'est la tribu des Soltos qui domine. Et Almazbek Atambaïev est un Solto.»
Résultat, l’opération a tourné au fiasco. Un membre des services spéciaux a été tué, six autres pris en otage (puis libérés) et des dizaines de blessés hospitalisés, dont certains touchés par balles, selon le ministère de la Santé. Après le retrait des forces de l’ordre, les partisans de l’ancien président ont bloqué la route menant à sa résidence pour empêcher une éventuelle deuxième descente.
Sous pression, Sooronbaï Jeenbekov a écourté ses vacances. Arrivé à Bichkek, la capitale, il a convoqué en urgence le Conseil de sécurité nationale et a accusé l'opposant d'avoir «bafoué de manière grossière» la Constitution. Dans la foulée, il a appelé à prendre des «mesures immédiates» pour maintenir la paix dans le pays. «Atambaïev et son entourage ont utilisé des armes à feux et sont sortis du cadre juridique», a-t-il déclaré.
Quels sont les risques de cette arrestation ?
Elle pourrait engendrer de nouvelles violentes échauffourées dans le pays de plus de 6 millions d’habitants. Le Kirghizistan, indépendant en 1991 après la chute de l’URSS, est en proie à une instabilité politique constante. Cette ex-république soviétique – toujours proche de la Russie – a déjà essuyé en 2005 et 2010 deux révolutions, qui ont entraîné les destitutions consécutives des présidents Askar Akaïev et Kourmanbek Bakiev. A l’époque, les actuels rivaux Atambaïev et Jeenbekov étaient alliés et encourageaient avec force ces renversements. Une fois son mandat écoulé, Almazbek Atambaïev avait même soutenu la candidature de son poulain Sooronbaï Jeenbekov pour lui succéder.
Depuis, la situation a changé et deux camps s'opposent. Au mois de juin, l'ancien président a rencontré le président russe Vladimir Poutine, inquiet d'une résurgence de troubles dans la région. La Russie, qui possède une base militaire à Kant, près de Bichkek, a encouragé à la «stabilité» tout en réaffirmant son soutien au président en place. Mais début juillet, les partisans de l'ex-président ont menacé d'organiser des manifestations massives dans les deux mois si le gouvernement n'était pas limogé et le Parlement dissous. Peu après la première tentative vaine de son arrestation, l'ancien président a déclaré que le peuple kirghiz «ne vivra jamais à genoux, ne sera jamais un troupeau de moutons, ne sera jamais l'esclave du clan dirigeant».
Pour René Cagnat, cette arrestation «peut être l'étincelle qui peut faire exploser l'Asie centrale. La capacité ou non d'Almazbek Atambaïev à lancer des manifestations d'ampleur sera déterminante». En attendant, la France a appelé ses ressortissants à la vigilance : «La situation autour du village de Koï-Tach reste confuse. A Bichkek, elle est calme mais des manifestations et des heurts pourraient intervenir prochainement.»