En ce début août, le grand amphi de l’université de Lausanne affiche complet. Plusieurs centaines de jeunes sont alignés en rangs, derrière des tables encombrées par les ordinateurs portables et les gourdes. Sur l’estrade, d’autres jeunes, micro en main, déroulent le programme et les objectifs de la semaine. Ils sont 450, tous représentants des grévistes pour le climat, venus en bus ou en train de 38 Etats européens, de la Norvège à la Turquie. Depuis lundi, ils se sont réunis pour le premier meeting international de Fridays for Future (FFF), achevé vendredi avec une manifestation dans les rues de Lausanne.
«Cette semaine est une formidable opportunité de créer des liens forts entre nous et surtout de travailler ensemble pour définir clairement les lignes directrices du mouvement», explique Loukina Tille, l'une des figures des grèves scolaires en Suisse. L'idée du rassemblement est née en avril, après la réunion à Strasbourg d'une soixantaine de membres de Fridays for Future venus de 20 pays pour rencontrer les eurodéputés écologistes. Des quatre villes qui s'étaient portées candidates, Lausanne a été choisie pour sa position géographique et l'engagement de son groupe local.
«Consensus»
Un quota de 30 représentants par pays a été instauré pour «éviter la surreprésentation des pays les plus mobilisés, et les plus proches, comme la France, la Suisse et l'Allemagne, explique Kelmy Martinez, l'un des organisateurs. Notre but est de prendre des décisions représentatives du mouvement dans son entier. C'est aussi pour ça qu'on a choisi un système de consensus, qui évite aux petits pays ou à ceux qui font entendre une voix différente d'être écrasés par la majorité.»
L’organisation, digne d’un mini-sommet climatique qui se serait égaré dans un centre de vacances, est impressionnante, surtout pour un mouvement aussi récent et résolument horizontal. Réunis en assemblée plénière, les jeunes se sont prononcés sur un texte posant les principes et valeurs du mouvement, ses stratégies et ses revendications.
La première version, composée de l’ensemble des propositions envoyées en amont du sommet par les participants, était par nature hétéroclite. Y figurait par exemple côte à côte l’interdiction des voitures en ville d’ici 2030, la nécessité de mieux informer de l’ampleur de la crise climatique et celle d’accueillir les réfugiés climatiques. Pour l’améliorer, tous les participants, réunis par petits groupes, ont proposé des clarifications ou refusé certains éléments. Le groupe stratégique - des volontaires en chaussettes assis en cercle dans une salle un peu à l’écart - s’est ensuite chargé toute la semaine de prendre en compte ces propositions pour amender et épurer le texte.
A l’issue de longues heures de votes, les participants se sont finalement mis d’accord sur trois revendications majeures : maintenir le réchauffement sous 1,5 degré, garantir la justice climatique et écouter les scientifiques. Greta Thunberg, initiatrice du mouvement avec sa première grève scolaire en août 2018, est elle aussi venue à Lausanne, avant de prendre la route de New York, où elle doit s’exprimer au sommet de l’ONU sur le climat. Toujours installée en fond d’amphi, la petite Suédoise s’est faite discrète et a évité les prises de parole publiques.
Après un début d'année en fanfare, qui a culminé sur la grève internationale du 15 mars et son 1,6 million de participants, ce sommet d'été est bienvenu pour un mouvement qui s'interroge sur ses modes d'actions. Pour beaucoup ici, il faut passer à la vitesse supérieure. Aurore, Avignonnaise de 17 ans, trépigne à l'entrée de la plénière. «On ne s'est pas adaptés nous-mêmes à l'urgence climatique. C'est comme si on était encore dans les années 70 et qu'on venait de découvrir le réchauffement. On fait encore des marches alors qu'on devrait agir plus concrètement.» Matteo est à fond pour des actions coup-de-poing, qui viseraient aussi les entreprises. «Chez nous, on s'est enchaînés devant une banque. Un émissaire a donné les clés de la chaîne au directeur pour l'obliger à descendre discuter avec nous.» Autre débat récurrent cette semaine : le rapport au capitalisme. Faut-il en sortir pour sauver l'environnement ?
Décroissance
Après un atelier avec Julia Steinberger, professeure d'écologie sociale à l'université de Leeds, portant notamment sur la culture de l'automobile, la discussion s'engage et révèle une ligne de fracture entre délégations de l'est et de l'ouest de l'Europe. Les jeunes venus d'anciens pays du bloc soviétique sont prêts à avancer sur l'idée de la décroissance mais refusent de se dire anticapitalistes. Même au-delà des différences de cultures politiques, le sujet divise dans un mouvement qui a fait de son caractère apartisan l'une de ses forces. «Il faut être réaliste : 95 % des gens ne veulent pas sortir de ce système, on ne pourra pas les faire changer d'avis en si peu de temps, affirme un jeune Polonais. Mieux vaut miser sur le marché.» A l'issue de l'atelier, Julia Steinberger félicite les participants : «Vous pouvez être fiers de vous. Les questions sur lesquelles vous débattez sont de haute volée. Vous êtes en train de les imposer dans l'espace public.»