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Libération
Crise politique en Italie

Renzi tente le «tout sauf Salvini»

Alors que le ministre d’extrême droite se voit déjà élu après avoir fait imploser le gouvernement, la figure démocrate tend la main à son épouvantail, le Mouvement Cinq Etoiles.
L'ex-président du Conseil Matteo Renzi devant le portrait du leader du M5S Luigi Di Maio sur le plateau de la RAI en janvier 2017. (Photo Angelo Carconi. ANSA via AP)
publié le 12 août 2019 à 20h36

Freiner la marche de Salvini sur l'Italie. Jeudi, le leader de la Ligue a décrété unilatéralement la fin du gouvernement de coalition qu'il forme avec le Mouvement Cinq Etoiles (M5S). Au cours du week-end, une partie des adversaires de Matteo Salvini a commencé à se mobiliser pour tenter d'éviter la convocation d'élections législatives anticipées comme le réclame le patron de l'extrême droite crédité de plus de 35 % dans les sondages. Après avoir toujours refusé l'idée d'un accord avec les Cinq Etoiles, l'ancien président du Conseil démocrate Matteo Renzi a été le premier à proposer dimanche la formation d'un «gouvernement institutionnel», sorte de front commun élargi «pour sauver l'Italie d'une dérive extrémiste». «Je ne suis pas prêt à aller manger une pizza avec Beppe Grillo, même si on me payait pour cela», a prévenu l'ancien maire de Florence, mais il a tout de même lancé «un appel à tous, à Grillo, aux Cinq Etoiles, à la droite, à la gauche».

«Sauver l'Italie des barbares»

Matteo Renzi a justifié son ouverture spectaculaire en direction des Cinq Etoiles, dont il n'a cessé de dénoncer le caractère dangereux et subversif jusqu'à la semaine dernière, en expliquant qu'une dissolution imminente du Parlement risquerait de mettre en péril les comptes publics italiens. La péninsule doit en effet présenter à Bruxelles son projet de loi de finances 2020 d'ici au 15 octobre avec des engagements précis concernant la réduction du déficit budgétaire. Faute de quoi, et en vertu d'accords passés, la TVA italienne augmentera automatiquement à 25 % le 1er janvier. «Cela va coûter plus de 1 000 euros par famille», a calculé Renzi, qui laisse entendre qu'il serait prêt à faire un bout de chemin avec les M5S jusqu'au printemps, le temps d'approuver un projet de loi présenté par ces derniers sur la réduction du nombre de parlementaires.

Dans un premier temps, l'offre de Matteo Renzi a été plutôt bien accueillie du côté des Cinq Etoiles. Alors qu'en cas de retour aux urnes nombre des 323 parlementaires M5S risquent de ne pas être réélus (le mouvement est tombé de 33 % aux législatives de 2018 à 17 % aux européennes), les troupes de Beppe Grillo sont disposées à discuter avec l'ex-adversaire démocrate qu'elles traitaient de «vendeur de casseroles». «Après avoir gouverné avec la Ligue, je pense pouvoir faire un accord même avec Belzebuth», a justifié Roberta Lombardi, l'une des dirigeantes historiques du M5S avec la bénédiction du fondateur. Grillo s'est prononcé lui aussi contre des élections anticipées et a appelé à «sauver l'Italie des barbares».

Lundi, l'ancien comique a toutefois traité indirectement l'ex-chef du gouvernement de «vautour». Et si l'hypothèse de négociations avec le Parti démocrate (PD) n'est pas exclue, les Cinq Etoiles écartent tout dialogue direct avec Renzi : «Personne ne veut s'asseoir à la table avec lui», a assuré Luigi Di Maio.

Reste que le flirt estival entre partisans de Matteo Renzi et les Cinq Etoiles ne fait pas l’unanimité au sein du PD. Où nombre de militants s’interrogent sur un rapprochement avec une formation populiste qui était jusqu’à peu alliée avec l’extrême droite, approuvant toutes les lois répressives du ministre de l’Intérieur Salvini. Aujourd’hui minoritaire au sein du parti, Matteo Renzi est ainsi soupçonné de faire une opération politicienne pour sauver son groupe parlementaire, ce dernier lui étant acquis. La presse transalpine avance même l’hypothèse d’une scission au sein du PD si l’ex-président du Conseil ne parvenait pas à faire passer sa stratégie d’alliance avec les M5S auprès des instances dirigeantes.

Pour l'heure, le secrétaire du PD, Nicola Zingaretti, a écarté un accord avec les Cinq Etoiles, qu'il juge contre-nature et risquerait de faire le jeu de Salvini : «C'est franchement non. […] Des solutions faibles et mal foutues risquent de nous poser les mêmes problèmes en dix fois plus grand dans quelques semaines. Je crains que cela offre à Salvini un argument politique considérable auprès des citoyens. Il crierait au scandale.» De fait, Salvini, qui est déjà en campagne sur les plages de la péninsule, ironise sur l'accord des «désespérés» qui «veulent à tout prix sauver leur fauteuil» : «Si quelqu'un pense que l'Italie peut être gouvernée pendant des années par le couple Renzi-Grillo, je leur dis bonne chance.»

Reprendre langue avec Berlusconi

Néanmoins, pour se prémunir d’un front commun contre sa personne au Parlement (où il ne dispose pour l’instant que de 183 élus sur 945), il a décidé de reprendre langue avec Silvio Berlusconi. Le patron de Forza Italia pourrait être l’élément décisif. Si celui-ci devait rallier l’hypothèse d’une large majorité institutionnelle, l’offensive de Salvini pourrait être ralentie. Pour éviter un tel scénario, le leader d’extrême droite a annoncé que, contrairement à son objectif d’aller seul aux élections, il acceptera d’ouvrir des discussions avec le milliardaire en vue de reconstituer l’alliance qu’il avait abandonnée l’an dernier pour former le gouvernement avec le M5S.

Lundi, la première étape vers l’issue de la crise s’est tenue au Sénat. En plein été, la présidente Maria Elisabetta Casellati a réuni les chefs des groupes parlementaires pour décider de la date du vote de censure à l’encontre du chef du gouvernement, Giuseppe Conte, réclamé par la Ligue. Mais les divers partis ne se sont pas mis d’accord. Car Salvini veut aller vite. Il souhaiterait que les Chambres se réunissent pour le vote dès le 20 août, dans l’espoir de retourner aux urnes avant fin octobre. La décision devrait être prise ce mardi.