Menu
Libération
Interview

Roger Hallam : «Si on continue d’ignorer la science, nous allons probablement tous mourir»

Roger Hallam, cofondateur d’Extinction Rebellion, met en avant l’importance d’une confrontation non violente avec les gouvernements pour faire évoluer la société.
Le cofondateur d’Extinction Rebellion Roger Hallam, le 11 août à Paris, lors d’une conférence à la Bellevilloise. (Photo Denis Allard pour Libération)
publié le 16 août 2019 à 21h06

Libération a rencontré Roger Hallam, cofondateur d'Extinction Rebellion, chercheur au King's College à Londres et fermier bio, lors de sa venue à Paris le 11 août pour une conférence sur ce mouvement mondial de désobéissance civile, dont l'objectif est de lutter contre l'effondrement écologique et le réchauffement climatique. Une initiative qui a été lancée en octobre au Royaume-Uni.

Extinction Rebellion est un mouvement apolitique. A titre personnel, comment vous situez-vous politiquement ?

Je suis de gauche. En tant que chercheur universitaire, je me suis servi de recherches scientifiques pour créer un mouvement de mobilisation sociale massif et de désobéissance civile. Je suis donc engagé dans ce projet en tant qu’activiste pour m’assurer que la société ne s’effondre pas à cause du changement climatique.

Quand votre engagement militant a-t-il commencé ?

Je suis engagé dans des mouvements sociaux depuis que j’ai 15 ans. Pendant ma vingtaine, j’ai été très militant pour tous les mouvements pacifistes. J’ai été fermier pendant quinze ans dans une ferme bio. Je suis chercheur sur la désobéissance civile à l’université anglaise King’s College, à Londres. En avril 2018, nous nous sommes réunis avec une quinzaine de personnes dans un café et j’ai suggéré de créer un mouvement de désobéissance civile massif. C’est ainsi qu’est né Extinction Rebellion, mais tout a vraiment démarré officiellement en octobre, notamment quand des gens ont commencé à occuper des ponts à Londres.

Quel regard portez-vous sur ces actions de désobéissance civile menées à Londres ?

Selon mes recherches scientifiques, quand les gens enfreignent la loi, il y a des probabilités que cela crée un débat public et que l’on parle de la contestation sociale. Les activistes vont être respectés car les gens verront à quel point ils sont engagés dans la préservation de l’environnement puisqu’ils sont prêts à être arrêtés. En avril, 1 200 personnes ont été arrêtées à Londres. C’était la plus grande action de désobéissance civile dans l’histoire du Royaume-Uni. Auparavant, il n’y avait pas beaucoup de discussions publiques sur l’urgence climatique, ni de politiques menées sur ce sujet. Après cette arrestation, la prise de conscience a bondi. Il y a eu beaucoup de changements au niveau politique, le Parlement britannique a déclaré l’urgence climatique.

Etes-vous optimiste sur la possibilité d’une prise de conscience générale de l’urgence climatique ?

Je ne suis ni pessimiste ni optimiste. Je crois que le plus important, c’est de s’engager dans des activités pour promouvoir le bien public. Les démocrates ont la responsabilité de maintenir une société démocratique. En l’état actuel, la société que l’on connaît risque d’être détruite. Pour nous, il est à cet égard crucial de participer à des actions non violentes de désobéissance civile de masse, que les gens qui ont des valeurs civiques prennent conscience du danger de l’extinction massive du monde vivant. Autre risque à prendre en compte : l’effondrement du projet social de gauche. Une fois que les gens seront affamés, la réponse sera le fascisme, parce que la société civile sera dans un état de chaos.

Comment pensez-vous sensibiliser un maximum de personnes sur les enjeux environnementaux ?

Les gens doivent s'engager dans Extinction Rebellion, qui n'est pas un projet individuel mais collectif. La désobéissance civile de masse fera émerger un débat dans la société. Pour la première fois, des millions de Français auront une discussion sur la réalité de la catastrophe climatique. Il y aura toujours des gens qui n'iront pas manifester car ils auront peur de la violence policière ou parce qu'ils sont pessimistes ou déprimés par rapport à l'urgence climatique. Pour créer un changement politique, on a seulement besoin de 3,5 % de citoyens prêts à se rendre dans la rue. Dans toutes les révolutions, la majorité ne fait rien (rires). Il faut donc mobiliser 3 % de la population, des personnes plus motivées ou affectées par la souffrance de celles qui ont osé manifester.

Quel objectif poursuivez-vous en prenant la parole lors de conférences, comme ici à Paris ?

L’urgence climatique est une urgence globale et il est important qu’une rébellion contre des gouvernements commence. La désobéissance civile de masse est le moyen le plus efficace pour engendrer un changement au niveau politique. Par ailleurs, il faut que les citoyens prennent conscience que leur manière de consommer doit changer radicalement pour minimiser le chaos social qui va arriver si rien n’est fait.

Comment jugez-vous l’évacuation d’une manifestation de militants d’Extinction Rebellion par la police sur le pont de Sully, à Paris, le 28 juin ?

La police française est plus brutale que la police britannique. La violence implicite du système devient explicite lors d’actions de désobéissance civile. Evidemment, c’est choquant. Le but d’Extinction Rebellion, c’est d’encourager des actions non violentes de masse. Une des conséquences peut être la violence policière, mais c’est avec cette confrontation que le système politique peut changer. Et les arrestations sont en un sens vraiment nécessaires pour y parvenir. Les vidéos de cette confrontation vont susciter un fort capital de sympathie dans la société et un débat sur l’urgence climatique. Ce qui encouragera encore plus d’actions non violentes. L’urgence climatique est telle que des gens sont prêts à souffrir physiquement pour transmettre le message.

Vous êtes actuellement en France. Est-ce que vous avez demandé à rencontrer Emmanuel Macron et Elisabeth Borne, la ministre de l’Ecologie ?

Non, ce n’est pas mon rôle d’aller voir des dirigeants politiques, je suis seulement ici pour contribuer au processus éducatif. Mais les militants d’Extinction Rebellion en France peuvent demander à voir Emmanuel Macron. Les rencontres politiques ne changeront rien sauf s’il y a un soulèvement social. Par exemple, si un lieu au centre de Paris est bloqué par 10 000 personnes pendant cinq jours, des gens ne pourront plus aller travailler, ce qui ralentira l’économie et affectera le gouvernement. C’est à ce moment-là qu’il faudra rencontrer Emmanuel Macron.

Le gouvernement français apporte-t-il des solutions concrètes à l’urgence climatique ?

En ce moment, les politiques gouvernementales de la France mènent à l’extinction de son peuple. Tout dans l’économie doit tendre à la neutralité carbone. Ce n’est pas une question d’idéologie ou de politique, c’est déterminé par des faits scientifiques.

Que répondez-vous à ceux qui critiquent l’action d’Extinction Rebellion ?

Si on ignore la science, nous allons probablement tous mourir. Si tu sautes d’une falaise, la loi de gravitation universelle va te tuer car tu vas tomber, peu importe tes opinions sur les questions sociales et politiques. De même, si on apprend que l’on est atteint d’un cancer et que l’on n’obtient pas de chimiothérapie, on risque de mourir, c’est un fait. Ce qui est important, c’est la disruption, l’agitation et la désobéissance, la base du mouvement. Les recherches scientifiques prouvent que les changements d’opinion résultent d’un processus émotionnel et non d’un processus rationnel de pensée.