«Donald Trump est un narcissique fou», a lâché mercredi Villy Sovndal, ancien ministre danois des Affaires étrangères, à propos de la décision du président américain de reporter sa visite officielle au Danemark, prévue début septembre. Pour justifier son choix, Trump a dénoncé le ton «méchant» des propos de la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, et le refus de Copenhague de vendre le Groenland aux Etats-Unis. Cette décision inattendue, qui a provoqué la stupéfaction de l’ensemble de la classe politique du pays scandinave, permet de rapprocher le Danemark du Groenland, selon Mikaa Mered, professeur de géopolitique et spécialiste des zones Arctique et Antarctique à l’Ecole des relations internationales (Ileri).
En annulant une visite officielle au Danemark, quel est l’objectif politique de Donald Trump ?
Les Etats-Unis sont, depuis dix-huit mois, dans une phase de réengagement en Arctique face aux Russes et aux Chinois. Particulièrement active sur les plans énergétique, maritime et militaire, la Russie est aujourd’hui la puissance dominante de la région. Dans le même temps, la Chine a su s’insérer dans le jeu arctique en moins de dix ans, et en particulier au Groenland, revendiquant même le titre d’Etat du «proche-Arctique». Les Etats-Unis, en situation de faiblesse structurelle, se doivent de reprendre la main, au moins politiquement et à court terme, et c’est ce que Donald Trump fait, même maladroitement. Se rendre au Danemark aurait certainement pu permettre au président américain de poser un nouveau jalon fort en faveur de cette démarche, mais il a préféré annuler sa visite sur les réseaux sociaux pour faire un énième coup politique. Ce n’est pas la meilleure tactique pour reprendre la main en Arctique, mais cela semble être une preuve de plus que son intérêt est avant tout de tirer des bénéfices sur sa politique intérieure [il est déjà en campagne électorale pour sa réélection, ndlr], plus qu’une véritable offensive diplomatique. Une fois encore, le locataire de la Maison Blanche prouve qu’il est maître de l’agenda, qu’il ne se laisse rien imposer, ce qui est primordial pour son électorat, et réduit les démocrates au silence médiatique.
Quelles sont traditionnellement les relations entre Washington et Copenhague ?
Ce sont deux alliés très proches depuis la Seconde Guerre mondiale. Les Etats-Unis ont besoin d’avoir un pied au Groenland. C’est un territoire très stratégique, pivot du rideau de défense à la fois arctique mais aussi nord-européen face à la Russie. Et ce, depuis les années 40. Le Danemark, de son côté, est dépendant des Etats-Unis pour sa sécurité nationale et adapte sa politique en fonction de cela, au point même de les suivre en Irak, par exemple, en 2003. Une escalade diplomatique n’est donc pas dans l’intérêt de Copenhague. C’est la raison pour laquelle la Première ministre danoise a tenté de calmer le jeu. Mais c’est aussi la raison pour laquelle, dans sa logique particulière, Trump peut se permettre de jouer avec le Danemark : il sait que c’est un allié en situation de dépendance dont la riposte ne pourra être que limitée, alors il peut s'autoriser à aller loin sans prendre trop de risques.
Cet incident diplomatique peut-il avoir un réel impact sur les relations de ces deux alliés ?
Pas vraiment. Le Danemark ne peut que jouer l'apaisement, et Trump a tout intérêt à continuer cette tactique puisque, pour lui, le coût politique est nul. En revanche, l'annulation de cette visite a permis au Danemark et au Groenland de se rapprocher. Les Groenlandais se sont sentis fortement soutenus par le gouvernement danois et les propos de la Première ministre Mette Frederiksen [«Le Groenland n'est pas à vendre. Le Groenland n'est pas danois. Le Groenland appartient au Groenland»] ont été très appréciés. Les indépendantistes modérés de centre gauche actuellement au pouvoir au Groenland se retrouvent même confortés dans l'idée que continuer à faire partie du royaume du Danemark n'est pas un problème tant que l'île peut maintenir une relation politique équilibrée avec Copenhague, plus respectueuse des spécificités culturelles et sociales du Groenland que ne pourraient l'être les Etats-Unis, surtout sous Donald Trump.
Comment réagit le Groenland face à cette situation ?
Cela peut paraître contre-intuitif au départ mais cette affaire est en fait bénéfique pour l’île, qui investit beaucoup de moyens pour essayer de faire connaître la réalité du pays, sa culture et son potentiel économique, touristique et environnemental. L’administration groenlandaise cherche depuis des années à attirer des investisseurs afin de développer de nouvelles activités économiques et de pouvoir se passer de la subvention annuelle du Danemark (environ 700 millions de dollars), qui correspond à la moitié de son budget. Grâce à cet incident diplomatique, le Groenland se félicite de bénéficier d’une campagne mondiale à coût zéro, inattendue et inespérée. Les Groenlandais ne sont donc pas totalement insatisfaits de la tournure des événements même si, bien sûr, tout le monde s’accorde à dire que la proposition de Trump est anachronique, impérialiste et colonialiste. Enfin, le Groenland voit dans ces déclarations la matérialisation d’un regain d’intérêt américain pour l’île et cela ne peut, là encore, lui être que bénéfique.