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Libération
Au sommet

G7 : Merkel, le canard boiteux à ne pas sous-estimer

Angela Merkel est maintenant une habituée des G7. La chancelière allemande ne semble pourtant pas bénéficier d'une grande marge de manœuvre, elle qui arrive à la fin de sa carrière politique. L'Allemagne souhaite obtenir des avancées en matière de lutte contre l'évasion fiscale, d'imposition sur les bénéfices à l'échelle mondiale et sur les questions relatives au numérique.
Angela Merkel, le 30 juin à Bruxelles. (Photo John Thys. AFP)
publié le 24 août 2019 à 11h29

«Avant que Merkel ne se paye tous les grands problèmes de ce monde au sommet du G7 à Biarritz, du Brexit à la guerre commerciale, elle s'octroie un début de semaine feel good avec un voyage en Islande», s'amusait le tabloïd Bild mardi, montrant une chancelière souriante, aux côtés de la Première ministre islandaise Katrín Jakobsdóttir lors d'une visite officielle. Le reste de la semaine d'Angela Merkel s'annonce en effet moins harmonieux. Le Brexit s'est d'abord rappelé à elle avec la visite, mercredi, du Premier ministre britannique Boris Johnson à qui elle a opposé une fin de non-recevoir sur la suppression du backstop (assurance contre le retour d'une frontière physique entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord, ndlr).

Il y a aussi l'acrobatique G7 à Biarritz, et ses multiples sujets de discorde : Brexit, guerre commerciale Chine-Etats-Unis, réforme de l'OMC, protectionnisme, lutte contre le réchauffement climatique… Face à un Donald Trump aussi imprévisible que menaçant, l'Allemagne et sa chancelière paraissent affaiblis. Depuis près d'un an, lorsqu'elle a quitté la présidence de la CDU et annoncé son retrait de la vie politique sitôt son mandat achevé en 2021, elle est devenue cette chancelière crépusculaire dont on s'interroge sur l'heure du départ, une sorte de «lame duck», canard boiteux en fin de course politique. Son pays, première économie d'Europe mais au bord de la récession, est en outre traversé par une profonde crise d'identité, sur fond de tensions inédites au sein de la grande coalition au gouvernement et de pression de l'extrême-droite.

Expérience sur la scène diplomatique

Comment les Allemands envisagent-ils ce G7 à risques ? A vrai dire, ils n'en parlent guère. La presse préfère évoquer les rencontres bilatérales de ces derniers jours, Poutine-Macron, Merkel-Orbán, ou Johnson-Merkel. Une chose est sûre, il ne faut pas sous-estimer la chancelière. On ne compte plus les fois où elle a été diagnostiquée kaputt et où elle a prouvé le contraire. Pour les Allemands, Merkel, très expérimentée sur le plan diplomatique – qui d'autre au G7 peut se targuer d'avoir éprouvé trois présidents américains, quatre présidents français, quatre Premiers ministres britanniques (bientôt cinq avec Boris Johnson) et sept présidents du Conseil italien ? – est loin d'être à terre. Populaire dans les sondages, elle est vue comme un élément de stabilité dans un monde particulièrement chaotique. Comme le formule Claudia Schmucker, de la Société allemande pour la politique étrangère, «elle est pragmatique et rationnelle, elle connaît ses dossiers sur le bout des doigts et il lui reste une marge de négociation car elle est sans cesse à la recherche de compromis. Face à un Trump qui angoisse les Allemands, elle est précieuse.» Selon le dernier rapport en date de l'Institut Pew à Washington, seuls 10% des Allemands font confiance au président américain.

Pour autant, le format G7, qui a perdu de son influence au profit du G20, ne lui laissera pas une grande marge de manœuvre. Comment parler de la guerre commerciale avec la Chine sans la Chine ? Eviter que Trump n'envoie tout à la casse et fasse de ce G7 un autre G6 contre les Etats-Unis ? Négocier sans déclaration commune ? Reste qu'Angela Merkel devrait s'atteler à ce qu'elle sait faire : parlementer à petits pas, quitte à obtenir de timides avancées. Sur la question du protectionnisme, elle ne peut espérer aboutir qu'à des éléments de langage qui ménageraient à la fois l'«America First» de Trump et, au hasard, une économie allemande basée sur ses exportations. «S'il ressort quelque chose de ce G7, ce sera dans un vocabulaire timoré, ambigu, qui évoquera à la fois l'importance du commerce mondial tout en reconnaissant qu'il doit être "juste", histoire de ne pas fermer la porte aux protectionnistes, estime Claudia Schmucker. Ce serait la moins pire des options. A ce stade, on ne peut espérer que cela.»

Dans les livres d'histoire

On peut en revanche s’attendre à des discussions plus fécondes sur d’autres sujets. Outre le consensus sur la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales, avec la création d’un impôt minimum mondial sur les bénéfices, l’Allemagne souhaite mettre sur la table les questions liées au numérique et l’intelligence artificielle. Ou la santé, puisque le G7 tend à collecter 14 milliards de dollars pour lutter contre le sida, la tuberculose et le paludisme, afin d’éliminer ces pandémies d’ici 2030.

Mais c'est à peu près tout, et le reste n'est que sables mouvants. Une anecdote résume fidèlement la politique vue par Merkel. Mi-août, elle était l'hôte d'une discussion publique dans son fief de Stralsund (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale), dont elle est députée depuis 1990. A la question «Dans cinquante ans, comment aimeriez-vous être décrite dans les livres d'histoire ?», elle a marqué une pause avant de répondre : «Elle n'a pas ménagé ses efforts.»