Derrière l’image bucolique se cache une réalité économique et sociale complexe. Sait-on qu’en France métropolitaine, la plus grande partie de la forêt est privée ? Si l’on dénombre plus de 3 millions de propriétaires, 50 000 d’entre eux possèdent environ 52 % de la surface forestière privée et assurent les trois quarts de la commercialisation de bois, comme le rappelle le Programme national de la forêt et du bois publié en 2017. La forêt publique, qui représente 25 % du total, produit 40 % du bois vendu. La filière représente 440 000 emplois directs et indirects, 60 milliards de chiffre d’affaires et 38 millions de mètres cubes de bois commercialisé, transformé en bois d’œuvre, d’industrie ou bois-énergie. Un secteur qui accuse un déficit commercial avec des importations qui se sont élevées à 16 milliards d’euros en 2017 (+4,1 % sur un an), contre 9,6 milliards d’exportations.
La forêt métropolitaine va-t-elle bien ?
La forêt, qui couvre près de 30 % du territoire, va plutôt bien. «Elle s'est étendue en surface et a tendance à produire plus en raison de l'augmentation du CO2 qui la fertilise, mais elle subit des menaces graves», précise Hervé Jactel, directeur de recherches à l'Institut national de la recherche agronomique. Selon l'inventaire 2017 de l'Institut national de l'information géographique et forestière, la superficie forestière en métropole augmente de 0,7 % par an depuis 1985, notamment grâce à la déprise agricole : de 14,1 millions d'hectares, on est passé à 16,9 millions. Une avancée qui bénéficie d'abord à la Bretagne et au pourtour méditerranéen.
La forêt française est composée de 136 essences d'arbres, dont une majorité de feuillus, comme les chênes ou les hêtres, et un tiers de résineux. Mais 13 espèces occupent 82 % de la place, et 17 % des forêts ne sont composées que d'une essence. Le nombre d'essences utilisées par la filière bois a tendance à se réduire, les feuillus séduisant de moins en moins. Dans le documentaire le Temps des forêts, François-Xavier Drouet montre l'expansion croissante des pins Douglas. Ces conifères originaires d'Amérique du Nord à la croissance express et à fort potentiel économique ont été massivement plantés ces dernières décennies, par exemple dans le Morvan. Or les menaces qui pèsent sur la forêt, notamment sur les pins, les sapins ou les épicéas, rendent la diversité indispensable. Non seulement le changement climatique risque d'engendrer des épisodes de sécheresse plus fréquents, mais on note aussi la présence exponentielle d'espèces invasives favorisées par la hausse des températures ou les importations. Enfin, l'urbanisation a tendance à grignoter les forêts. «On est dans une période de bascule, les forêts françaises ne sont pas loin du moment critique où s'enchaînent et se superposent des événements de dépérissement liés à ces menaces. La courbe qui augmentait va probablement chuter et nous allons voir arriver la décroissance de la production, voire de la qualité des forêts», met en garde Hervé Jactel, qui rappelle que «les forêts mélangées sont à la fois plus productives et plus résilientes». Une mise en garde qui n'implique pas de mettre la forêt sous cloche, au contraire : l'homme a tout son rôle à jouer pour aider la forêt à s'adapter au plus vite.
La forêt française est-elle menacée par le dérèglement climatique ?
Oui, car on sait que le réchauffement est rapide et est à l'origine de la multiplication d'épisodes de canicule de plus en plus intenses et rapprochés, qui eux-mêmes génèrent de la sécheresse. Sécheresse qui menace les ressources en eau dont les arbres ont besoin et affaiblit dans son ensemble la forêt, la rendant plus sensible aux aléas mais aussi aux ravageurs et pathogènes. A preuve la crise des scolytes sur les épicéas de l'est de la France, ou des sapins et des hêtres dans les Vosges, qui ont pris une couleur rouille. Desséchée, la forêt est aussi moins efficace pour absorber le CO2. Sans oublier la potentielle recrudescence des incendies, dévastateurs pour la biodiversité. Moins d'arbres, c'est aussi un sol fragilisé et instable, des crues, des éboulements et des coulées de boue pas entravées.
Reste que la forêt française est diverse, ce qui lui donne «une capacité de résilience face aux menaces», rappelle Olivier Picard, coordinateur du réseau Aforce, qui travaille sur l'adaptation des forêts au changement climatique. Certaines essences plus résistantes prendront temporairement ou définitivement la place de celles qui n'arrivent pas à s'acclimater. Mais l'une des solutions réside dans la diversification des peuplements. Compte tenu de la rapidité de ce changement peu compatible avec la vitesse naturelle de migration des espèces, il faudra tester la migration assistée, et l'implantation d'espèces plus méditerranéennes. Le mélange des gènes pourrait aussi améliorer l'adaptation des espèces au nouveau climat. «Il ne s'agit pas de modification génétique ni d'hybridation, mais d'aller chercher les bons génotypes des arbres du Sud qui résistent à la sécheresse», dit Hervé Jactel. Des zones tests ont été créées. «On fait des projections avec des modèles qui définissent des zones à enjeux où on a notamment commencé à remarquer des signes de dépérissement», explique Brigitte Musch, du département recherche et innovation sur la génétique à l'ONF. C'est le cas à Loches (Indre-et-Loire), où on va installer dans des îlots d'avenir des chênes plus méditerranéens, comme le chêne des volcans. Difficile de savoir comment tout va évoluer dans les 150 prochaines années. Mais on peut penser que la physionomie de nos paysages aura quelque peu changé.
Planter des arbres peut-il sauver le climat ?
Par principe, planter des arbres est une bonne idée. Mais ce qu'on appelle la compensation carbone peut parfois relever de la «fausse bonne idée». Tout d'abord, les promoteurs de la compensation prennent le risque de laisser entendre qu'il ne serait plus indispensable de réduire à la source les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine. Comme le pointe Sylvain Angerand, coordinateur de l'association Canopée, «il va falloir plusieurs dizaines d'années à un arbre pour absorber l'équivalent du CO2 émis lors d'un vol Paris-New-York». Ensuite, les projets de compensation sont souvent réalisés dans des pays bien loin des Etats pollueurs et ne tiennent pas forcément compte des impératifs de diversité évoqués plus haut. Enfin, le fonctionnement des cycles forestiers implique de réfléchir sur le long terme : planter des arbres ne dédouane pas de conserver les vieux. «Il faut garder les vieilles forêts vénérables avec beaucoup de carbone stocké mais aussi créer de nouvelles forêts avec une diversité d'essences», résume Hervé Jactel. Car si les nouvelles forêts permettent d'envisager de nouvelles capacités de stockage du carbone, ce sont les sols et les gros arbres qui conservent le plus de CO2 dans leurs racines, leur tronc et leurs feuilles plus étendus.
Enfin, la diversité et la robustesse des arbres entrent en compte. Les spécimens plus vulnérables face aux sécheresses prolongées pourront même devenir occasionnellement émetteurs de carbone : «Pour éviter de se déshydrater, les feuilles ferment leurs stomates, ces pores par lesquels elles transpirent. Mais ce faisant, elles cessent d'absorber du CO2. Elles n'en continuent pas moins de respirer et donc de produire du CO2. Ainsi, lorsque les pluies font durablement défaut, la fonction de puits de carbone de la forêt est gravement perturbée», rappelle l'Inra sur son site. Ce phénomène peut aussi intervenir si des parasites s'attaquent au feuillage ou lors d'un incendie qui libérera dans l'atmosphère le CO2 accumulé au fil des années. Quant aux sols des forêts, ils peuvent accumuler plus de carbone encore que les troncs et les branches, à condition que la matière organique ait le temps de s'y dégrader. «On n'a pas le temps d'attendre que les arbres poussent, estime Sylvain Angerand. Ce qui sauvera le climat, c'est de réduire les émissions et de laisser vieillir les forêts.»
Des intrants chimiques sont-ils déversés dans les forêts ?
En octobre, l'Office national des forêts (ONF) annonçait que, «par anticipation sur l'évolution prévisible des réglementations», il y aurait désormais «zéro glyphosate en forêt publique». La décision visait à calmer les esprits, après la révélation, durant l'été 2018, de plusieurs cas d'utilisation en forêt de cet herbicide controversé, classé «cancérogène probable» par l'Organisation mondiale de la santé. Notamment dans les Landes, où un apiculteur, cité dans l'ouvrage Main basse sur nos forêts de Gaspard d'Allens, a dû jeter toute sa récolte de miel d'automne, soit plus d'une tonne, à cause d'un taux de contamination au glyphosate deux fois supérieur à la norme autorisée. Les parcelles voisines appartiennent à la première coopérative forestière française, Alliance Forêt Bois, par laquelle passent «15 % du bois commercialisé au sein de la forêt privée» du pays et devenue, selon d'Allens, «le chantre de l'industrialisation de la filière».
L'utilisation de pesticides en forêt est un sujet tabou et peu documenté. «Les traitements phytopharmaceutiques sont très rares en forêt publique, puisqu'ils ne concernent annuellement que 0,02 % des surfaces», assure l'ONF. Mais quid dans le privé ? «Pour les plantes sauvages, il n'existe pas de réglementation sur les pesticides, écrit Gaspard d'Allens. Contrairement à l'agriculture, il n'y a pas de quantité limitée, de normes, ou un cahier des charges.» «Il est difficile d'avoir des chiffres précis sur les quantités utilisées», confirment les Amis de la Terre. L'ONG estime que plus de 70 herbicides, fongicides et insecticides sont autorisés dans les forêts françaises, «comme le Fusilade Max, le Tchao Plus ou le Barbarian». Ils servent à dégager les parcelles, «nettoyer» les allées de monocultures de pins, dévitaliser les souches ou exterminer des insectes… dont la prolifération est favorisée par les coupes rases.