Menu
Libération
Libé des forêts

Ces hommes et femmes qui replantent des arbres

Sols dégradés, zones arides, déserts de poussières, terres brûlées... Ces figures de la reforestation ont su faire renaître des milliers d'hectares de forêts aux endroits les plus extrêmes.
Gilles Gautier, Norma Llemit, Wangari Muta Maathai, Akira Miyawaki, Yacouba Sawadogo et Rana Ram Bishnoi. (Photos DR, AFP, Agefotostock et Cirad)
publié le 27 août 2019 à 12h47

Du Japon au Brésil, en passant par l’Inde et le Burkina Faso, ils et elles plantent des arbres. Portraits de ces figures de la reforestation.

Akira Miyawaki, le restaurateur de sols au Japon

Appelons-le le pape de la reforestation. Dès les années 70, ce botaniste s’est fait le chantre la restauration des forêts en Asie grâce à une méthode qui porte désormais son nom. Le principe : régénérer des forêts en y faisant pousser uniquement des essences autochtones. Les arbres natifs sont comme des poissons dans l’eau et prospèrent donc à grande vitesse car le sol est adapté à leurs besoins. La méthode mise aussi sur la complémentarité entre une diversité d’arbres, à la fois en collaboration et en compétition, ce qui stimule la croissance. Akira Miyawaki a montré qu’il était capable de redonner vie à des forêts naturelles, même sur des sols très dégradés, en seulement dix ans, dix fois plus rapidement que la normale. D’abord regardé de travers dans son pays, celui qui a aujourd’hui 91 ans a restauré près de 13 000 sites à travers le monde. La prise en compte des interactions de la nature et la plantation aléatoire (et pas en ligne) qu’il défend ont essaimé. Désormais, de nombreux programmes de reforestation appliquent sa méthode. (photo DR)

Yacouba Sawadogo, «l’homme qui a arrêté le désert» au Burkina Faso

Une pioche, des graines et de l’acharnement. Voici comment un autodidacte a reverdi des zones arides grignotées par l’avancée du Sahel. Pas besoin d’être scientifique, Yacouba Sawadogo, fils d’agriculteurs, a puisé dans une technique ancestrale : le zaï. Il s’agit de creuser des trous en forme de cuvette et de les remplir de compost. Puis les termites creusent des galeries pour accéder au butin. La terre est ainsi aérée et l’eau qui tombe s’infiltre par ces tuyaux naturels. L’humidité est maintenue dans le sol. Ensuite, on sème des graines dans les mêmes trous et le miracle se produit.

Lors d'une dure période de famine dans les années 80, Yacouba Sawadogo opte pour le retour à la terre plutôt que l'exode. Il abandonne son emploi de vendeur de pièces détachées en ville pour devenir paysan dans son village natal. Grâce au zaï, il fait naître une oasis nourricière, peu à peu transformée en forêt riche en biodiversité. A 81 ans, «l'homme qui a arrêté le désert» a formé des centaines de paysans à sa technique et a obtenu le prix Nobel alternatif en 2018. (photo AFP)

Wangari Muta Maathai, l’écoféministe au Kenya

Première biologiste de son pays. Première Africaine à recevoir le prix Nobel de la paix, en 2004. La Kényane Wangari Muta Maathai est une précurseure. A la fin des années 70, elle a fondé le Mouvement de la ceinture verte, qui encourage les populations locales, et surtout les femmes, à planter des arbres pour restaurer les sols, lutter contre la déforestation et empêcher la confiscation des terres. Les arbres sont réintroduits autour des villages afin que les femmes aient des ressources en bois à proximité pour alimenter les foyers. La militante écologiste et des droits humains est issue d’une famille de fermiers qui a tenu à ce qu’elle soit scolarisée. Grâce à une bourse, elle termine son cursus dans des universités américaines, avant de travailler à Munich et d’obtenir un doctorat à Nairobi. On estime que 50 millions d’arbres ont été plantés grâce à son mouvement. Cette figure écoféministe a fini par être nommée secrétaire d’Etat à l’Environnement. Elle est morte d’un cancer en 2011. (photo AFP)

Rana Ram Bishnoi, «tree man» en Inde

Dans sa région, il est surnommé «Tree man», l’homme arbre. En un demi-siècle, le septuagénaire a planté 30 000 arbres autour de son village au Rajastan. Et ce sans aucune aide financière. La zone aride dans laquelle il vit est appelée «le pays de la mort». Turban blanc sur la tête, Rana Ram Bishnoi gravit inlassablement les dunes environnantes avec une cruche en terre remplie d’eau pour arroser les arbres. A chaque saison des pluies, il y disperse les graines. Le reste de l’année, il fait germer et plante des pousses dans le sol sablonneux, uniquement des essences indigènes. Il a ainsi réussi à contenir l’avancée du désert du Thar sur son village et est devenu une source d’inspiration en Inde. Rana Ram Bishnoi voit les plantes comme des divinités. Il fait partie du peuple des Bishnoïs, qui a pour principe de protéger tous les êtres vivants. Plantes, hommes et animaux sont mis sur un pied d’égalité. A 79 ans, le sage veille à transmettre la pratique et la philosophie de ses ancêtres à la jeune génération. (Photo Agefotostock)

Lélia et Sebastiao Salgado, gros planteurs au Brésil

Il est célèbre pour son travail photographique. Fin 2018, Sebastiao Salgado et sa femme se sont révélés prolifiques planteurs. Près de 700 hectares d’une dense forêt recouvrent désormais les collines autour de chez eux. Dans leur région du Minas Gerais, à 600 kilomètres au nord de Rio de Janeiro, environ 300 espèces différentes ont repris racine.

A la mort du père de Sebastiao Salgado à la fin des années 90, le fils décide de reprendre la ferme familiale, là où poussait jadis une partie de la forêt atlantique primaire brésilienne. Tout a été déforesté pour faire place à l’élevage bovin. Pour Lélia, sa femme, seuls les arbres pourront régénérer la terre devenue poussière. L’idée est de réintroduire un écosystème natif. Avec son institut Terra, le couple a levé des fonds et planté 2 millions et demi d’arbres en vingt ans. La vallée s’est transformée en réserve naturelle. Les graines qui germent dans de grandes pépinières sont aussi destinées à aider les agriculteurs locaux à préserver les sources d’eau. (photo AFP)

Norma Llemit, dompteuse de nuages aux Philippines

Tout est parti de l’observation de son île, la deuxième de l’archipel philippin. En grande partie déboisée, Mindanao, située dans le sud du pays, était de plus en plus soumise aux typhons et inondations. Selon Norma Llemit, la destruction de la forêt a accentué le problème. Les sols ont perdu leur fertilité, se sont tassés et ne peuvent plus absorber l’eau comme des éponges. La docteure en philosophie a trouvé une même solution pour atténuer à la fois le changement climatique et mieux résister aux événements extrêmes : la reforestation. Avec son projet primé, elle réhabilite les forêts de manière stratégique. En plantant à flanc de colline, elle parvient à dompter les nuages et à obtenir une pluviométrie plus favorable aux cultures. Norma Llemit veille à inclure les peuples indigènes dans les projets. Sur les terres qui ont retrouvé leur fertilité, elle forme les locaux à l’agroécologie (café, bambou ou encore abaca, cousin du bananier), moyen d’œuvrer pour le développement rural et de lutter contre la pauvreté. (photo Cirad)

Gilles Gautier, terre et bouse de zébu à Madagascar

Après pas mal de bourlingue, il a eu une révélation dans la vallée du Tsaranoro, bordée de pics de granit. C’est là, au sud de l’île de Madagascar, que Gilles Gautier a élu domicile. Originaire de Marseille et passionné de montagne, il se met en tête de reforester les collines dénudées. L'élevage de zébus a chassé la forêt. La terre s’érode. Inspiré par le livre de Jean Giono,

L’homme qui plantait des arbres

, il crée une association pour restaurer la biodiversité. Sa pépinière est ouverte à tous. Des écoles voisines viennent même s’y fournir pour des journées de sensibilisation à l’environnement. A la saison des pluies, avec une équipe de villageois acquis à sa cause, il enterre des pousses ainsi que des boulettes de terre mélangée à de la bouse de zébu. Le sexagénaire n’arrose pas, il laisse les arbres s’épanouir ou mourir. Résultat : 15 à 20% de rendement. Plus de 800 000 arbres ont cependant poussé en quinze ans. (Photo DR)