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Libé des forêts

«Un arbre n’est qu’un élément d’un superorganisme»

Deux écologues néo-zélandais ont découvert une souche d'arbre maintenue en vie, grâce aux ressources fournies par ses congénères. Une découverte qui permet d'en apprendre davantage sur les réseaux racinaires des végétaux.
Un kauri de Nouvelle-Zélande. (Photo CC)
publié le 27 août 2019 à 11h59

Voilà qui pourrait bien changer notre regard sur les forêts. En Nouvelle-Zélande, deux écologues de l'université de technologie d'Auckland, Martin Bader et Sebastian Leuzinger, ont mis la main sur une souche d'un kauri – un conifère endémique de l'île nord du pays – maintenue en vie par ses congénères. Cette découverte a donné lieu à un article publié fin juillet dans la revue iScience (de l'éditeur scientifique Cell Press) où les deux botanistes suggèrent avec beaucoup d'arguments à l'appui que les arbres de la même espèce tirent de sérieux bénéfices pour leur survie en se connectant par leurs racines pour échanger de l'eau ou des nutriments. De quoi considérer les arbres non pas comme de simples individus mais comme des maillons reliés entre eux de l'écosystème forestier ? C'est en tout cas l'hypothèse retenue et expliquée par les deux chercheurs dans Libération.

Comment êtes-vous arrivés à étudier cette «souche zombie» comme l’a qualifiée la presse ?

Avec mon collègue Sebastian, nous faisions une randonnée dans le massif des Waitakere Ranges à l’ouest d’Auckland lorsque nous sommes tombés sur la souche d’un kauri. Elle était très étrange car elle n’avait aucun feuillage, mais était en fait encore vivante. Une petite couche de tissus organiques ainsi que de l’écorce encore intacte se distinguaient clairement d’un tronçon en décomposition. Cette observation nous a fascinés à tel point que nous sommes revenus pour enquêter sur ce phénomène.

La «souche zombie», in Bader and Leuzinger, Hydraulic Coupling of a Leafless Kauri Tree Remnant to Conspecific Hosts,

iScience.

Qu’est-ce qui vous a surpris dans cette découverte ?

Pour nous, la souche devait être forcément greffée aux autres kauri qui l’entouraient, autrement cela fait longtemps qu’elle aurait été morte. Ce qui nous a d’abord surpris, c’est sa connection hydraulique avec les arbres voisins de la même espèce. La circulation de l’eau à l’intérieur de la souche était très fortement et négativement corrélée à celle dans les arbres avoisinants. Quand la sève des arbres voisins coulait rapidement, celle de la souche circulait doucement. Mais si les arbres réduisaient leur transpiration foliaire, que ce soit la nuit ou lors des jours de forte pluie, la sève circulait cette fois plus fortement dans la souche. Nous suggérons que ce n’est pas une activité passive mais plutôt que la souche utilise les temps de repos des arbres pour capter de l’eau. Les kauris environnant en tirent probablement de nombreux bénéfices : le fait de posséder un système racinaire plus étendu, d’avoir un plus important ancrage dans le sol, mais aussi le fait de disposer d’un avantage compétitif sur le sol empêchant par conséquent des concurrents de s’établir à cet endroit.

Quelles sont les conséquences de votre étude pour la compréhension des écosystèmes forestiers ?

On perçoit généralement un arbre comme une entité à part. Mais si plusieurs arbres partagent un système racinaire commun (un wood-wide-web), alors cela veut dire qu'un arbre fait partie d'un système global et n'est qu'un élément d'un superorganisme. C'est tout à fait comparable aux insectes sociaux comme les abeilles, où une ouvrière fait partie d'un système plus global, la ruche. Cela ouvre des perspectives dans la réponse à apporter aux sécheresses par exemple, dont l'intensité va augmenter sous l'effet du réchauffement climatique. Un groupe d'arbres reliés entre eux partagent un réseau commun de racines par lequel l'eau et d'autres ressources (les nutriments minéraux, les sucres et les hormones des plantes) peuvent se déplacer en fonction des besoins. Donc, si un arbre a accès à des ressources en eau plus profondes, cela va les rendre accessibles à tous les membres de ce réseau racinaire. Une telle physiologie collective devrait permettre à ces arbres de mieux résister aux périodes de stress environnemental qu'aux espèces qui ne sont pas reliées entre elles par leurs racines. L'autre conséquence, c'est la facilité avec laquelle les agents pathogènes vont se transmettre : un système commun de racines leur offre un boulevard parmi les arbres ainsi reliés.

Cela veut dire que l’on en sait encore trop peu sur les arbres et leur façon de cohabiter…

Nous avons une plutôt bonne compréhension de l'écologie et de la physiologie de beaucoup d'espèces d'arbres mais aussi sur la communication entre les arbres via les mycorhizes [l'association symbiotique entre des racines d'arbres d'espèces différentes et des champignons qui donne la truffe par exemple, ndlr]. Cependant, l'étude de la connection entre arbres par des systèmes racinaires qui ont fusionné a longtemps été négligée. La plupart des études depuis des décennies n'étaient que de simples observations, notamment parce que les scientifiques n'avaient pas la technologie d'aujourd'hui en leur possession. Nos conclusions soulèvent sûrement beaucoup plus de questions que de réponses, mais elles ont le mérite d'ouvrir le champ à des recherches excitantes dans ce domaine.