Ce lundi, la Côte-d'Ivoire a la gueule de bois. Encore stupéfaite par les «événements» inouïs qui se sont déroulés samedi, et qui figurent en une de toute la presse nationale, reviennent sans cesse dans les conversations. En cause : l'orgie macabre qui a suivi l'enterrement de DJ Arafat ce week-end. La star du coupé-décalé, genre musical ivoirien particulièrement tonique, a perdu la vie dans un accident de moto le 12 août. Depuis cette disparition soudaine, le pays tout entier était sous le choc. Mais personne ne s'attendait aux scènes qui se sont déroulées samedi, juste après l'enterrement en grande pompe de l'idole nationale.
Personne n’avait anticipé que les fans endeuillés et encore incrédules, grisés par une nuit blanche – souvent très alcoolisée –, décideraient de vérifier par eux-mêmes si le corps mis en terre quelques minutes plus tôt était bien le sien. Par centaines, samedi matin, ils ont débordé les forces de sécurité, envahi le cimetière, fondu sur sa tombe, déterré son cercueil. Et l’ont ouvert, certains se filmant en train d'exulter près de la dépouille. Une profanation terrifiante, abondamment relayée sur les réseaux sociaux, et unanimement condamnée en Côte-d’Ivoire, effectuée sous l’impulsion d’une bande de gamins bercés par les fake news, les rumeurs et les théories du complot. Et dont le seul repère était cet artiste de 33 ans.
Des fans de DJ Arafat surnommés «les Chinois»
De son vrai nom Ange Didier Houon, DJ Arafat est né dans le quartier populaire de Yopougon et comptait une base de fans pléthorique, surnommés les «Chinois», en raison de leur nombre. Parmi eux, on compte aussi de petits délinquants des quartiers populaires. Depuis ce 12 août fatal, tous étaient inconsolables, réclamant toujours l’installation d’un monument sur le lieu de l’accident, déjà transformé en lieu de recueillement très fleuri.
La cérémonie d’adieu qui a précédé son enterrement, dans la nuit de vendredi à samedi, s’était pourtant déroulée dans le calme, digne de celles réservées à d’anciens chefs d’Etat. Une nuit entière de concerts organisée au stade Félix-Houphouët-Boigny. Sur scène, parmi la cinquantaine d’artistes, le musicien malien Sidiki Diabaté, le chanteur nigérian Davido ou encore le roi de la rumba congolaise Koffi Olomidé. Dans les tribunes officielles, l’ancien international de football Didier Drogba, ainsi que plusieurs ministres. Dont celui de la défense, Hamed Bakayoko, lui-même ancien DJ, connu comme le «parrain» et ami proche de DJ Arafat.
Cette veillée artistique avait été entièrement financée par l'Etat de Côte-d'Ivoire, pour un montant de 150 millions de FCFA (230 000 euros). Avec 6 000 policiers mobilisés pour l'occasion. Mais pas un incident à déplorer malgré les craintes de débordements. Au milieu de la pelouse, une estrade avait accueilli, à l'aube, le cercueil de DJ Arafat qui a reçu, à titre posthume, l'ordre national du mérite. La fête avait donc été belle jusqu'à l'arrivée au cimetière, où les policiers ont bataillé plusieurs heures pour faire revenir le calme et sécuriser la tombe. Une douzaine de personnes ont été interpellées dimanche et le ministre de la Défense a condamné «un acte ignoble» de jeunes «manipulés», sans qu'on sache par qui.
Le signe d’une jeunesse ivoirienne en crise ?
DJ Arafat était l’ami de l’élite politique ivoirienne, tous bords confondus. Fait rare dans un pays encore très divisé depuis la crise de 2011, alors que se profile une présidentielle mouvementée dans un an. Mais ce trentenaire barbu aux mèches décolorées était surtout adulé par les jeunes des classes défavorisées, massivement touchés par le chômage et fascinés par sa trajectoire spectaculaire. Celui qui était surnommé «Yôrôbô», « Commandant Zabra» ou «le Daishikan» avait été repéré au début des années 2000 par un producteur dans un «maquis» (cabaret) où il était DJ, au cœur de la rue Princesse à Yopougon, alors célèbre pour ses boîtes de nuit.
C'est au cours de ces années-là que s'invente le «coupé-décalé». DJ Arafat embrasse cette musique pour mieux la transformer, lui apporter de nouvelles sonorités, de nouveaux pas de danse. Il enchaîne rapidement les tubes et finit par rejoindre le prestigieux label Universal. Sa notoriété avait largement dépassé les frontières ivoiriennes, s'ancrant en Afrique et plus récemment en Europe. Mais loin d'être apaisé par le succès, l'artiste était un habitué des clashs et des scandales. Réputé colérique et impulsif, il avait été condamné pour coups et blessures il y a un an. Lundi, dans son éditorial, Venance Konan, le rédacteur en chef du principal quotidien ivoirien, Fraternité Matin, interprétait les débordements de samedi comme le signe d'une jeunesse en crise : «Tant que nous ne chercherons pas sérieusement à soigner notre société, tant que notre obsession restera l'argent ou le pouvoir, nos enfants ne cesseront de nous étonner. Désagréablement !»