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Libération
Cinq étoiles

Président et hôtelier, le débat sur les conflits d'intérêts de Trump relancé

Proposition d'accueillir le G7 au Trump Hotel de Miami, logement du vice-président, Mike Pence, dans un golf de Trump en Irlande… Les polémiques et enquêtes se multiplient sur les revenus que pourrait continuer à toucher le Président de son empire hôtelier.
Dans cette photo prise le 6 juin 2019: Marine One, transportant le président des États-Unis, Donald Trump, et la première dame, Melania Trump, atterrit à l'hôtel Trump International Golf resort situé en Irlande. (Photo Paul Faith. AFP)
par Philippe Coste, intérim à New York
publié le 4 septembre 2019 à 7h34

«Ce n'était pas une demande, pas un ordre. Juste une suggestion du Président», insiste le chef de cabinet de Mike Pence pour expliquer, avec embarras, pourquoi le vice-président des Etats-Unis, en visite officielle en Irlande, s'est installé avec tous ses collaborateurs et gardes du corps au Trump International Golf, un complexe hôtelier détenu par la Trump Corporation, l'empire immobilier du Président. Un établissement situé à… 300 kilomètres de Dublin, la capitale irlandaise, où Mike Pence devait enchaîner les rendez-vous pendant son séjour de quarante-huit heures.

Ce choix a exigé de longs, coûteux et ridicules trajets en avion entre les deux points diamétralement opposés du pays. Il relance aussi la polémique sur les conflits d'intérêts du Président, l'usage à des fins officielles du parc hôtelier privé de Donald Trump, aux frais du contribuable américain et d'Etats étrangers. Le 26 août, ce dernier a provoqué la consternation jusque dans les rangs républicains en proposant, lors de sa conférence de presse de clôture du G7 de Biarritz, d'organiser le prochain sommet dans son hôtel Doral de Miami. A la presse qui lui demandait de «répondre à ceux qui l'accusent de s'enrichir ainsi pendant sa présidence», Trump a vanté à la tribune, avec un zèle d'agent d'office de tourisme, la qualité du produit, la proximité de l'aéroport, le nombre de bungalows et de chambres disponibles.

Deux procès fédéraux

S'il feint de ne pas comprendre, s'il rappelle à la tribune de ses meetings, sans plus de précisions, que sa reconversion en président lui a fait perdre «entre 4 et 5 milliards de dollars» depuis 2016, Trump ne peut oublier que les soupçons de conflits d'intérêts ont commencé dès son entrée en fonction et n'ont pas été résolus par la refonte, en 2017, de la direction de son entreprise immobilière. Le businessman, au lieu de liquider ses actifs (une condition imposée à tous les élus et hauts fonctionnaires), s'est contenté d'en donner le contrôle provisoire à ses deux fils et à sa fille.

Trois ans plus tard, deux procès contre le Président, intentés devant les tribunaux fédéraux par 201 élus démocrates de la Chambre des représentants et par deux attorneys general, ministres de la Justice de Washington et de l'Etat du Maryland, entendent enfin prouver que Donald Trump contrevient aux deux fameuses clauses constitutionnelles sur les «émoluments» : la première interdit à tout officiel américain, sans l'accord du Congrès, «d'accepter des cadeaux, émoluments, charges ou titres quels qu'ils soient par un roi, prince ou Etat étranger». La seconde défend au président de recevoir tout autre revenu des Etats-Unis que son salaire officiel.

Une vingtaine d’Etats bons clients

Trump a certes promis de remettre au trésor américain tous les paiements versés à ses hôtels par des gouvernements étrangers. Selon la chaîne NBC, la Trump Corporation a ainsi reversé à ce titre, 343 000 dollars (environ 312 000 euros) à l’Etat pour 2018, sans donner le moindre détail. Mais la même enquête prouve que plus d’une vingtaine d’Etats étrangers ont organisé des évènements, payé des nuitées, acheté ou loué des locaux dans le parc immobilier de Donald Trump depuis trois ans.

Situé à deux pas de la Maison Blanche, le Trump International Hotel de Washington s’est mué en antichambre pour courtisans internationaux. L’Arabie Saoudite y a pour sa part dépensé 270 000 dollars entre octobre 2016 et mars 2017. Dès l’entrée en fonction de Trump, l’ambassade du Koweït a organisé sa fête nationale le 22 février dans les salons du Trump Hotel. Le Congrès, majoritairement républicain jusqu’à la fin 2018, a donné son consentement tacite à ce salon permanent de l’influence, mais la Chambre des représentants, aujourd’hui acquise aux démocrates, s’apprête à ouvrir une enquête sur la question des émoluments.

Cinq millions de dollars républicains

Car au niveau national, la règle est claire. Ces paiements sont toujours interdits. Or les associations politiques et les élus républicains, toujours en quête du soutien du Président, ont dépensé près de 5 millions de dollars dans ses propriétés depuis son élection.

William Barr, ministre de la Justice américain, a confirmé sa loyauté à Trump en réservant pour 30 000 dollars une soirée de fin d'année au Trump Hotel de Washington. Quant à Mike Pence, il n'ignore pas que son avenir politique après l'ère Trump dépend des bonnes grâces du président actuel, et ne pouvait, aux dires de ses détracteurs démocrates, prendre le risque de le froisser en refusant par exemple son invitation en Irlande. «C'est un peu comme s'il lui avait dit : "Au fait, pourquoi ne venez-vous pas chez moi ?"» raconte son chef de cabinet. Ça ne se refuse pas.