Un procès historique s’ouvre au tribunal de grande instance de Bonn (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) ce mercredi, afin de juger ce qui s’apparente au casse fiscal du siècle. Pour la première fois, deux banquiers britanniques comparaissent dans le cadre du scandale des CumEx, tentaculaire arnaque au fisc ayant touché plusieurs pays d’Europe et coûté, selon certaines estimations, environ 10 milliards d’euros au Trésor public allemand. Martin S., 41 ans, et Nicholas D., 38 ans, comparaissent à Bonn, où se trouve l’Office fédéral des impôts, pour une arnaque fiscale évaluée à 447,5 millions d’euros entre 2006 et 2011.
«CumEx» désigne une série de manipulations financières ayant donné lieu au plus «grand scandale fiscal de l'histoire de la République fédérale», comme l'écrivait récemment la Süddeutsche Zeitung. Pendant des années des traders et des banques ont arnaqué le fisc à la faveur de montages complexes, reposant sur des échanges d'actions multiples et rapides juste avant le versement des dividendes. Si la taxe qui devait être versée au Trésor public n'a été payée qu'une fois par l'un des actionnaires, les autres actionnaires ont également réclamé son remboursement au fisc, ce qui fait que le Trésor public, désorienté, a remboursé plusieurs fois une taxe payée une seule fois. Cette arnaque n'a été rendue impossible par la loi en Allemagne qu'en 2012.
Les enjeux de ce procès très attendu vont bien au-delà des agissements des deux accusés britanniques, qui ont décrit avec force détails lors de leurs interrogatoires le système des CumEx et mis en cause quantité d'acteurs du secteur. C'est tout un système qui va être décortiqué pendant plusieurs semaines, où il sera nécessaire d'évaluer l'implication de chacun, notamment les banques. Ce sera la première fois que l'on jugera si les pratiques de «CumEx» peuvent avoir des conséquences pénales. Si c'est le cas, cela ouvrirait la voie à un nombre conséquent d'autres procès. Il est possible de mesurer la fébrilité des banques à ce chiffre : elles ont dépêché 60 avocats au procès de Bonn en tant qu'observateurs, rapporte le quotidien Handelsblatt.
«Une mémoire d’éléphant pour se souvenir de tout»
Cinq institutions financières sont en outre entendues pour leur implication dans les agissements des deux banquiers : la banque hambourgeoise privée M. M. Warburg & Co., sa filiale Warburg Invest, BNY Mellon, la Société générale et la société de fonds Hansainvest. D’autres banques sont également sur le gril, telles que la Deutsche Bank, qui a fait l’objet d’une perquisition en juin, tout comme la filiale bancaire de Clearstream, au sein de l’opérateur boursier Deutsche Börse, perquisitionnée la semaine dernière.
Si le ministre des Finances et vice-chancelier Olaf Scholz a déclaré fin 2018 que «ce qui s'y est passé est un grand scandale fiscal et politique» qui «ne devrait plus jamais se reproduire», la relative passivité des politiques allemands est soulignée par de nombreux médias. Son prédécesseur aux Finances entre 2005 et 2009, Peter Steinbrück (SPD), accusé comme beaucoup d'autres d'avoir été informé de ces pratiques, a expliqué lors d'une commission d'enquête parlementaire du Bundestag qu'il fallait avoir «une mémoire d'éléphant pour se souvenir de tout».
Plusieurs médias ont par ailleurs fait état de liens entre politiques allemands de premier plan et des figures centrales du «CumEx» en Allemagne. Par exemple, rapporte le média Correctiv, le vice-président du Bundestag, également vice-président du parti libéral FDP, Wolfgang Kubicki, est l'avocat d'Hanno Berger, surnommé par la presse «M. CumEx», puisqu'il est accusé d'être le cerveau de cette vaste escroquerie, après avoir conseillé un grand nombre d'institutions financières sur cette pratique. Ce dernier pourrait bien faire l'objet d'un futur procès. Retranché désormais en Suisse, il affirme à la presse que la pratique du CumEx est légale, puisqu'elle s'est épanouie à la faveur d'une faille dans la législation allemande. Le procès de Bonn pourrait bien démontrer le contraire.
L’Etat allemand aurait-il pu agir plus tôt ? Si le procès de Bonn, qui se tient jusqu’en janvier 2020, ne permettra pas de répondre à cette question, il devrait toutefois éclaircir de nombreux points dans l’organisation de cette vaste escroquerie.