Menu
Libération
Interview

Brexit : «Les parlementaires rebelles n’ont plus rien à perdre»

Le député et ex-Procureur général Dominic Grieve analyse les conséquences de l’expulsion, mardi, de 22 membres du Parti conservateur, dont lui.
Le député et ex-Procureur général Dominic Grieve. (Photo Oli Scarff. AFP)
publié le 5 septembre 2019 à 21h16

Dominic Grieve est député de Beaconsfield, à l’est de Londres, depuis 1997. Procureur général (conseiller juridique en chef du gouvernement, un des plus hauts postes du cabinet) sous David Cameron, il est très europhile et souhaite la tenue d’un nouveau référendum sur le Brexit. Il vient d’être expulsé du Parti conservateur, avec 21 autres collègues, pour avoir voté contre Boris Johnson pour bloquer une sortie sans accord.

Après les récents drames au Parlement, que va-t-il se passer ?

Difficile à dire. Boris Johnson va réaliser qu’il a les mains liées et que la loi va lui imposer de demander à l’Union européenne une extension. Pour le moment, je pense que nous allons assister à la suspension du Parlement la semaine prochaine. A moins que le Premier ministre n’essaye d’appeler à de nouvelles élections. De son point de vue, comme il n’a pas pu obtenir la dissolution qu’il souhaitait mercredi, il pourrait encore tenter de convaincre le Labour, et sans doute les autres partis d’opposition. Le SNP, parti indépendantiste écossais, est très tenté par un scrutin. Ce qui est compréhensible vu l’impopularité de ce qui se passe en ce moment en Ecosse. Ses membres considèrent être à un pic de leurs chances dans les urnes. Mais ils ne sont pas assez pour fournir les deux tiers des voix nécessaires pour voter des élections anticipées.

Nous ne devrions pas les déclencher avant d’être catégoriquement sûrs que nous avons conclu un accord avec l’UE sur une extension de l’article 50. Les préparer maintenant serait jouer le jeu de Boris Johnson, ce que ni le Labour ni même le SNP ne sont vraiment enclins à faire. Sur cette base, les chances de leur tenue en novembre ou début décembre sont assez hautes.

Boris Johnson pourrait-il demander à un des pays de l’UE de s’opposer à une extension ? Des rumeurs courent sur la Hongrie…

En principe, oui. Je ne sais pas s'il réussirait, mais l'influence de Dominic Cummings [son conseiller spécial, ndlr] sur sa manière de se conduire en politique est désormais extrêmement claire. Cummings est un bachibouzouk, au sens des cavaliers mercenaires ottomans, à l'armement non conventionnel et sans discipline. Il ne respecte aucune règle. David Cameron l'avait décrit comme un «psychopathe» et je ne vois désormais rien aujourd'hui qui contredise cette vision. Mais si Cummings quittait la scène, Johnson pourrait se transformer en une tout autre forme de dirigeant.

Quel effet cela fait-il de se retrouver au sein d’un groupe de 22 rebelles ?

C’est réconfortant et assez libérateur. Après tout, les rebelles n’ont plus rien à perdre, surtout après la manière dont nous avons été expulsés du parti. Cette façon cavalière d’agir n’a pas été très bien reçue au sein d’une certaine frange du parti, ou même du gouvernement. C’est une atmosphère empreinte d’un esprit de résistance commune bienvenue après une longue période de solitude. D’une certaine manière, Boris Johnson n’a plus aucune prise sur nous et la façon dont nous avons été suspendus n’a fait que renforcer la détermination.

Plusieurs de vos anciens collègues ont rejoint le Parti libéral-démocrate. Y avez-vous pensé ?

Non. Je n’ai jamais voté autre chose que conservateur depuis mes 18 ans. C’était en octobre 1974. Je suppose qu’il va falloir que je décide si je veux me représenter en tant qu’indépendant ou si je renonce à la politique. Mais je suis assez réticent à l’idée de tout quitter au milieu de la plus grosse crise politique dans l’histoire moderne du Royaume-Uni. Donc je vais réfléchir. Je ne veux pas exagérer mes chances mais je pense que si je me représentais à Beaconsfield en indépendant, il ne serait pas impossible que je gagne.

Est-ce la fin du Parti conservateur ?

Il traverse une phase très difficile. Est-ce que c’est sa fin ? Je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est que s’il continue sur ce chemin, il va se retrouver avec une base idéologique beaucoup plus étroite qu’avant. Ses caractéristiques seront donc extrêmement différentes et l’élément idéologique, d’extrême droite, très présent. Le parti est aussi plein de membres raisonnables et modérés. Paradoxalement, en ce moment, la direction centrale est entre les mains d’un Premier ministre qui n’a pas d’idéologie. Le problème est qu’il ne croit en rien, si ce n’est en lui-même. Et j’ai bien peur que cela soit très apparent par son style de leadership, particulièrement désastreux. Il a démontré que ses capacités pour remplir son rôle sont encore plus limitées que ce que certains anticipaient. Un Premier ministre doit pouvoir inspirer un minimum de respect au sein de la Chambre, même quand la situation est difficile. Et ce qui est apparu, c’est qu’il n’avait ni le style, ni la capacité, ni l’autorité pour cela.

Johnson pourrait-il jeter l’éponge ?

Je ne crois pas qu’il soit du genre à démissionner. Il est arrivé à Downing Street ! La dernière chose qu’il souhaite, c’est en partir. Mais s’il refusait de demander l’extension de l’article 50, il se retrouverait à ne pas respecter la loi de son pays. Donc je pense qu’il finira par aller la réclamer à Bruxelles. Je ne le vois pas dire : «Vous me rendez la vie impossible, je suis au pouvoir depuis neuf ou dix semaines. Je serai le Premier ministre en place pour la plus courte période de l’histoire. Je m’en vais et je retourne au journalisme, merci.» C’est improbable. En même temps, c’est vrai qu’en ce moment, des choses improbables se produisent.

Et s’il allait à Bruxelles et se comportait de manière telle que l’UE refuse une extension ?

Mais il n’a pas besoin d’aller à Bruxelles. Il suffit d’envoyer une lettre. On a d’ailleurs écrit la lettre pour lui, il lui suffit de la signer. Et j’espère que l’UE comprendra que la lettre vient de nous, et pas de lui. Bien entendu, tout ce que nous pouvons espérer alors, c’est que le Conseil européen nous accorde cette extension, sachant que nous pourrons leur garantir qu’un événement démocratique - élections, référendum - se produira avant la fin de cette période d’extension.

La démocratie britannique est-elle en danger ?

On l’entend ici et là mais non, je ne crois pas. Nos institutions sont sous une pression terrible mais elles se révèlent plutôt résilientes. Le Brexit est un processus étonnamment corrosif. Le gouvernement semble utiliser de plus en plus de moyens pour essayer de contourner ou distordre ces institutions. Mais il y a des limites. Et je pense que Johnson se rapproche de ces limites.