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union européenne

Sylvie Goulard, des casseroles et un portefeuille

L’ex-ministre des Armées, chargée du marché intérieur, devra s'expliquer sur deux affaires gênantes: les assistants parlementaires du Modem à Strasbourg et l'emploi très lucratif qu'elle a occupé alors qu'elle était députée européenne.
Sylvie Goulard le 18 mai 2017, lors de son éphémère passage au poste de ministre des Armées. (Photo Julien Mattia. ZUMA. REA)
publié le 10 septembre 2019 à 20h56

A défaut de vice-présidence, la candidate de la France à la Commission européenne hérite d’un large portefeuille. A 54 ans, Sylvie Goulard aura en charge le marché intérieur, comprenant la politique industrielle, le marché unique numérique, l’industrie de la défense et l’espace.

Un poste en forme de consécration pour cette «Européenne passionnée et convaincue», comme l'a qualifiée la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, mardi en présentant son équipe. Seconde sous-gourverneure de la Banque de France depuis janvier 2018, Sylvie Goulard affiche effectivement un CV très européen : conseillère du président de la Commission Romano Prodi de 2001 à 2004, prof au collège d'Europe à Bruges de 2005 à 2009, elle enchaîne ensuite huit ans comme députée européenne.

Faux pas

Une ascension politique brutalement interrompue en juin 2017. Après un mois à peine comme ministre des Armées d’Emmanuel Macron, elle choisit de démissionner pour, dit-elle, assurer sa défense dans le dossier des emplois présumés fictifs des assistants Modem au Parlement européen. Son départ contraindra ses deux acolytes Modem au gouvernement (François Bayrou et Marielle de Sarnez) à lui emboîter le pas.

Deux ans après ce faux pas national, Goulard voit son avenir européen repartir de plus belle, dans le sein des seins des institutions bruxelloises, la Commission. Sauf que ses casseroles n'ont pas disparu pour autant. Certes, elle vient de rembourser au Parlement européen les sept mois de salaire de son ancien assistant à Strasbourg, Stéphane Thérou, pour la période (août 2014-février 2015) au cours de laquelle celui-ci aurait œuvré pour le Modem et non pour le Parlement. Mais sans éteindre la procédure judiciaire en France. Pour preuve : au moment même où Von der Leyen annonçait son entrée à la Commission, Goulard était auditionnée à Paris sur ce dossier par les policiers anticorruption (OCLCIFF), selon le Point.

Autre sujet problématique, sur lequel les eurodéputés auront de quoi l'interroger lors de son audition début octobre : son poste comme «conseillère spéciale» au sein du Conseil pour l'avenir de l'Europe, émanation de l'institut Berggruen, fondé par le milliardaire américano-allemand du même nom. Entre octobre 2013 et décembre 2015, Goulard a été payée entre 12 000 et 13 000 euros par mois par cet institut pour un travail aux contours pour le moins flous. Sollicité à plusieurs reprises par Libération sur les travaux réalisés durant cette période, pour un montant compris entre 324 000 et 350 000 euros, son entourage a fini par évoquer des «rapports» et des «notes de travail». Sans être en mesure de nous les communiquer.

Lobby

A l'AFP, la direction de Berggruen parle «de conférences à Paris et Madrid, d'une table ronde à Bruxelles et de plusieurs autres réunions, en plus de préparer des documents d'information». Après de longues recherches sur Internet, nous n'avons retrouvé que deux notes d'une quinzaine de pages, et la participation à l'organisation de deux rencontres à Bruxelles et à Madrid (celle de Paris a eu lieu avant le début de son contrat). Dans un autre registre, Marianne a révélé la semaine passée que Sylvie Goulard, alors députée européenne, aurait fait voter, lors du débat sur la réforme bancaire en 2016, deux amendements recopiés quasi entièrement d'un argumentaire du lobby des banques allemandes.

Dans l'entourage de Macron, on martèle la même rengaine : le choix de Goulard s'est imposé en raison de son «expérience européenne». Fin août, quand sa nomination a été annoncée, l'Elysée estimait qu'elle avait apporté à Bruxelles «les précisions qui lui étaient demandées» sur le dossier des assistants parlementaires. Mardi, la ministre des Affaires européennes, Amélie de Montchalin, a même affirmé qu'elle avait été «blanchie» par le Parlement européen. Aucun commentaire, en revanche, sur la réalité de son travail pour l'institut Berggruen. «Elle aura à s'en expliquer dans un processus démocratique», souligne une proche d'Emmanuel Macron.

De fait, avant de prendre leurs fonctions, les nouveaux commissaires doivent être auditionnés par les députés européens. L'exercice n'a rien d'une formalité : les questions sont précises et insistantes. Et l'eurodéputé LFI Emmanuel Maurel prédit pour Goulard «un mauvais quart d'heure». En 2014, le conservateur espagnol Miguel Arias Cañete, nommé commissaire à l'Energie, avait été très chahuté en raison de ses liens avec l'industrie pétrolière. Un conflit d'intérêts qui aurait dû lui coûter son poste. Mais la droite européenne avait alors menacé, en représailles, d'empêcher la nomination du commissaire choisi par Paris, Pierre Moscovici. A Bruxelles, on sauve parfois sa peau grâce à des marchandages…