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Libération
Éditorial

Examen de conscience

publié le 11 septembre 2019 à 20h01

Il s'est assis à la table du comité de rédaction avec son sourire plissé et sa dégaine d'éternel étudiant. Forte affluence : le précédent livre de Thomas Piketty a été un best-seller mondial et son auteur est un intervenant important dans le débat public et la vie politique. Son second opus fera événement, proposant une puissante analyse de l'inégalité dans les sociétés du Nord et du Sud au fil des siècles et un dépassement du capitalisme grâce à la «propriété sociale et temporaire». Une réserve de réflexions et de propositions pour toute politique progressiste, pour la gauche française et, en l'espèce, pour la rédaction de Libé. Rédacteur en chef d'un jour, celui qui fut longtemps notre chroniqueur oriente la discussion, commente l'actualité et pèse dans le choix de «l'événement» qui fait l'ouverture de ce journal. Le cas américain occupe une bonne part des quelque 1 300 pages écrites par Piketty. Utile coïncidence : les candidats démocrates se retrouvent ce jeudi soir, en nombre plus réduit, pour un important débat préparatoire aux primaires. Signe des temps : le pays de l'inégalité fait son examen de conscience, du côté démocrate en tout cas. Plusieurs candidats, dont Elizabeth Warren et Bernie Sanders, présentent un programme principalement fondé sur l'exigence de justice sociale. On dit le socialisme dépassé, muet, sans idées, sans pertinence, même, dévalué pour les uns par la mondialisation libérale, pour les autres par l'absolue priorité écologique. Le retour de flamme rooseveltien aux Etats-Unis, tout comme le livre de Piketty lui-même, démontrent que cette idée reçue commence à s'effriter. Point de politique verte sans plan égalitaire, point d'humanisation sans recours à l'ancienne culture socialiste adaptée aux enjeux nouveaux. Piketty se méfie de l'absolutisme vert et remet l'objectif de justice au centre du jeu. Voilà qui fera grincer quelques dents mais qui nous sort du triangle libéralisme-nationalisme-écologie. Voilà surtout l'occasion d'ouvrir un débat décisif pour l'avenir de la gauche française.