A première vue, les chiffres ont de quoi donner des sueurs froides aux marchés et justifier la poussée de fièvre de plus de 10% des cours du pétrole à l’ouverture des places financières, lundi. En une seule attaque, d’une ampleur jamais vue sur deux sites de transformation de brut, c’est la moitié du potentiel de production de l’Arabie Saoudite qui a été anéanti. Soit 5,7 millions de barils par jour, représentant 5% du volume extrait toutes les vingt-quatre heures à l’échelle de la planète. Sur le papier, il s’agit du plus violent de tous les chocs pétroliers, avec une contraction momentanée de l’offre inédite dans l’histoire. Après un recul cet été lié aux inquiétudes sur un retournement mondial de la conjoncture, le brut a ainsi retrouvé son niveau de la mi-juillet.
A court terme, l'impact sur les cours devrait demeurer significatif, du moins tant que Riyad n'aura pas donné plus d'informations sur l'étendue exacte des dégâts et le temps qu'il faudra au géant public du pétrole saoudien Aramco pour revenir à une production normale. Comme l'a expliqué à Libération l'universitaire Philippe Chalmin, qui dirige le rapport annuel Cyclope sur les marchés mondiaux de matières premières, «cette baisse sera temporaire mais si le temporaire devait durer, alors il pourrait ne plus y avoir de limite pour les prix mondiaux du pétrole». Et selon différents experts interrogés, ce retour aux volumes habituels de production prendra au minimum plusieurs semaines.
Réserves
Ces derniers s’accordent néanmoins sur le fait qu’à ce stade l’approvisionnement mondial en brut n’est pas menacé et que le contrecoup sera limité pour les exportations saoudiennes. Aramco dispose en effet de réserves suffisantes, de l’ordre d’environ un mois de production, pour répondre à la demande. Dès samedi, les Etats-Unis ont quant à eux fait savoir qu’ils autoriseraient le recours à leurs réserves stratégiques - 645 millions de barils répartis dans quatre sites souterrains au Texas et en Louisiane - si nécessaire. D’après différentes publications spécialisées, l’Arabie Saoudite serait en outre en mesure de rattraper dès les prochains jours jusqu’à la moitié de la production perdue.
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Des discours rassurants qui ne changent rien au fait que ces attaques ont mis en évidence la «haute vulnérabilité des infrastructures pétrolières saoudiennes», précise Ed Morse, analyste de la banque new-yorkaise Citi. Et ce en dépit d'investissements massifs dans leur protection. D'où sa prévision de cours durablement en hausse, avec un risque géopolitique d'abord sous-évalué, mais que les marchés ne peuvent désormais plus ignorer. Une situation qui selon toute probabilité va entraîner un report de l'introduction boursière d'Aramco, initialement programmée pour cette année avec l'ambition de lever jusqu'à 100 milliards de dollars (90 milliards d'euros).
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«Si choc il y a, au pire il devrait être temporaire, estime pour sa part Philippe Waechter, économiste en chef d'Ostrum AM, joint par Libération. A la différence des chocs précédents, le marché a fortement progressé et le royaume saoudien n'y occupe plus la place de leader qui était la sienne. Avec les hydrocarbures de schiste, les Américains sont aujourd'hui devenus les premiers producteurs de la planète dans un marché que tout le monde voyait en surproduction. La dynamique n'est plus du tout la même.»
Fraction
Cette flambée exceptionnelle n'en va pas moins se répercuter sur les prix à la pompe en France et ailleurs. Lundi à Rotterdam - la place de référence pour la distribution de carburants en Europe -, les cotations des principaux produits pétroliers étaient en hausse de près de 10%. «On peut s'attendre à une augmentation de l'ordre de 4 ou 5 centimes» parce que «les grandes sociétés répercutent au jour le jour l'évolution des prix sur l'essence et le gazole», estime Francis Duseux, président de l'Union française des industries pétrolières : «Quand vous payez 1,50 euro sur un litre, vous avez à peu près 50 centimes de matières premières, de raffinage et de distribution», poursuit-il, le reste étant constitué de taxes diverses. C'est cette fraction d'un tiers du prix à la pompe qui suit l'augmentation des cours.