Menu
Libération

A Moscou, peine de prison ferme pour un comédien

publié le 17 septembre 2019 à 20h26

Le 3 août, Pavel Oustinov, un comédien de 24 ans, a un rencard place Pouchkine, à la sortie du métro. Ce samedi-là, des Moscovites en colère affluent depuis la fin de la matinée sur le carrefour, pour protester contre l’interdiction faite à des candidats de l’opposition de participer à un scrutin municipal en septembre. L’artère centrale Tverskaïa est bordée de fourgons de police. Les «cosmonautes», surnom donné aux Omon, forces antiémeutes suréquipées, sont présents en surnombre, comme à chaque manifestation anti-Kremlin.

A l’écart de la foule, Oustinov attend, son téléphone à la main, quand subitement un groupe de policiers lui fonce dessus, le jette à terre. Les coups de matraque pleuvent. Le jeune homme est ensuite conduit vers un panier à salade garé non loin de là. Ça, c’est ce qu’on voit dans plusieurs vidéos amateurs qui tournent depuis son arrestation.

Ce même jour, place Pouchkine, Alexandre Liaguine, membre de la Garde nationale russe accomplissait «ses obligations de protection de l'ordre public» . Selon le témoignage du policier, Oustinov «vociférait des slogans, y compris insultants». C'est alors que Liaguine a «procédé à l'interpellation du perturbateur». Ce dernier, «conscient du caractère illégal de ses actes», aurait opposé de la résistance, «en infligeant, par ses actions, des lésions corporelles sous forme de luxation de l'épaule». Ainsi, Oustinov a «outragé l'honneur, la dignité et la profession de Liaguine, et l'autorité policière devant témoins», tout en provoquant de «la souffrance morale et des blessures physiques» : c'est la conclusion du juge, qui a condamné lundi Pavel Oustinov à trois ans et six mois de prison ferme pour «violences» à l'encontre de la police.

Le juge a refusé d'ajouter au dossier les vidéos prouvant l'innocence d'Oustinov, car elles avaient été obtenues de «manière non procédurale», considérant que les dépositions des témoins - tous membres des forces antiémeutes - concordaient, preuve suffisante de la culpabilité de l'accusé. Culpabilité que le comédien n'a pas reconnue, plaidant qu'il n'était pas venu place Pouchkine pour manifester, mais pour retrouver un ami.

Oustinov est la sixième personne à écoper d’une peine de prison ferme dans le cadre de ce que l’on appelle «l’affaire de Moscou», une série d’instructions et condamnations qui ont commencé par des interpellations massives, plus d’un millier, lors de la manifestation du 27 juillet à Moscou.

Mardi, artistes, comédiens et cinéastes célèbres se sont mobilisés pour dénoncer la condamnation «absurde» de Pavel Oustinov. Par dizaines, ils ont enregistré des appels vidéo sous le slogan «Nous sommes Pavel Oustinov».

«C'est une affaire montée de toutes pièces et nous devons attirer l'attention du pouvoir sur cette décision arbitraire», a écrit sur Facebook l'acteur russe Alexandre Pal, initiateur du mouvement. Interrogé par le quotidien Kommersant, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a refusé de commenter ce qui pourrait devenir un nouveau scandale.

Veronika Dorman