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Brexit

La Cour suprême britannique se penche sur la légalité de la suspension du Parlement

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A l'issue de trois jours de débats, de mardi à jeudi, la plus haute instance judiciaire britannique déterminera si Boris Johnson a ordonné illégalement la suspension du Parlement pour le faire taire sur le Brexit.
Partisans et opposants au Brexit étaient réunis ce mardi devant la Cour suprême, à Londres, pour faire entendre leur voix. (TOLGA AKMEN/Photo Tolga Akmen. AFP)
publié le 17 septembre 2019 à 18h20

Normalement, ils sont rassemblés à exactement trois minutes de là, au-delà de la pelouse du Parliament Square. Depuis trois ans et demi, 24 heures sur 24 ou presque, les pro et anti-Brexit ferraillent à coups de pancartes, de drapeaux et de mégaphones devant la splendeur gothique – actuellement sous échafaudages – du Parlement de Westminster.

Ce mardi, les manifestants des deux bords avaient déménagé leurs sonores invectives devant la Cour suprême, à quelques pas des statues des anciens «grands» Premiers ministres britanniques, tels que Winston Churchill, Sir Robert Peel, Disraeli ou Palmerston.

Une fois passé le porche, au cœur de la plus haute instance judiciaire britannique, l'atmosphère était nettement plus policée et solennelle. Dans la salle du tribunal numéro 1, c'est le sort du Premier ministre actuel, Boris Johnson, encore un peu vert dans le rôle pour justifier l'attribut de «grand», qui se jouait en partie. Pas de perruques ni de capes bordées d'hermine réservées aux cérémonies, juges et avocats affichaient tous un dégradé de tailleurs et costumes gris quelque peu monotone. Pourtant, les débats engagés ce mardi matin et qui dureront jusqu'à jeudi soir sont en soit absolument extraordinaires. La Cour suprême doit se prononcer sur la question de savoir si le Premier ministre et son gouvernement ont agi légalement en suspendant le Parlement pendant cinq semaines, à quelques jours de la date officielle du Brexit.

Deux cas liés au Brexit à juger

Les onze juges – trois femmes et huit hommes – font face à un cas unique et c’est d’ailleurs pour cela qu’ils siègent tous et non à cinq ou six comme c’est l’usage. Ce n’est que la deuxième fois depuis la création du tribunal, il y a dix ans, que les onze juges sont tous rassemblés pour examiner un cas précis. La première fois, c’était en 2016 et déjà à propos du Brexit. La Cour avait alors estimé que le gouvernement de Theresa May avait l’obligation de demander l’assentiment du Parlement avant d’invoquer l’article 50 qui donnait le coup d’envoi du compte à rebours pour la sortie de l’Union européenne.

En dépit du ton linéaire des avocats, régulièrement, une légère inflexion de la voix ou un haussement de sourcil donnaient la mesure de l’importance historique du moment. D’ailleurs, les débats, diffusés en direct, ont suscité un intérêt sans précédent. En début d’après-midi, quelque 4,5 millions de personnes les suivaient avec attention.

Précisément, les juges examinent en appel et ensemble deux cas séparés et antagonistes. Le premier est celui de la High Court de Londres qui a jugé que la procédure de «prorogation» – de suspension du Parlement – initiée par Boris Johnson était politique et n'était pas illégale. Séparément, la plus haute cour écossaise a estimé au contraire que la suspension du Parlement était illégale parce que les raisons invoquées par Boris Johnson pour convaincre la reine de signer cette suspension étaient fausses. Le Premier ministre a argué de la nécessité de suspendre le parlement jusqu'au 14 octobre, pour une durée inédite ou presque, pour préparer le «Queen's Speech», le programme législatif du gouvernement. Le tribunal écossais a jugé que Boris Johnson avait tenté de faire taire le Parlement pour éviter de devoir lui rendre compte de ses actions sur le Brexit. Les deux décisions ont été prises à l'unanimité, ce sera donc à la Cour suprême de trancher, peut-être dès vendredi mais probablement plutôt en début de semaine prochaine.

Une décision qui créerait un précédent dans un pays sans Constitution

Les questions constitutionnelles évoquées au cours des débats sont fondamentales. Il s’agit de déterminer qui est le plus souverain au Royaume-Uni. Le Parlement ? Ou l’exécutif ? Les défenseurs du gouvernement argueront que la décision de suspendre le Parlement est purement politique et que la justice n’a pas à s’en mêler. De leur côté, les avocats de l’activiste Gina Miller et de la députée du Scottish National Party Joanna Cherry – les têtes de file des deux actions contre le gouvernement – plaideront que les gouvernements agissent avec le consentement et sous le contrôle du Parlement, que l’exécutif doit lui rendre des comptes et que le suspendre pour justement éviter de rendre des comptes est profondément illégal.

Déjà compliqué, le débat se double de deux autres difficultés. Le Royaume-Uni ne dispose pas d’une Constitution écrite et la situation examinée devant la Cour est sans précédent. Sa décision, quelle qu’elle soit, sera donc historique. Si elle estime ne pas avoir à se mêler de cette suspension, qui empêchera à l’avenir un Premier ministre de suspendre le Parlement pour six mois, juste pour le contrôler ou parce que ça l’arrange ? Dans le cas contraire, que se passera-t-il ? Boris Johnson respectera-t-il la décision des juges et ira-t-il demander à la reine d’annuler la suspension du Parlement ? Interrogé sur la question, le Premier ministre, qui a par ailleurs refusé de témoigner ou de soumettre un témoignage écrit, est resté très vague.

Lors d'un propos liminaire avant les débats, Lady Hale, présidente de la Cour suprême, a souligné la seule certitude à ce stade de la situation : «Nous ne sommes pas intéressés par les questions politiques périphériques. La détermination de cette question légale, sérieuse et difficile ne déterminera pas le Brexit.»