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Libération

Plan climat : l’esquisse trop lisse d’Angela Merkel

Après la manif historique de vendredi en Allemagne, la chancelière a présenté des mesures jugées très insuffisantes par son allié SPD et les écolos.
Des jeunes brandissent des pancartes à Berlin, vendredi  : «Printemps, été, automne, hiver, et ensuite  ?» (Photo Christian Mang. Reuters)
publié le 20 septembre 2019 à 20h31

Protéger le climat est «un défi pour l'humanité». C'est en ces termes qu'Angela Merkel évoquait en début de semaine le plan gouvernemental pour le climat, enfin dévoilé vendredi au terme de dix-huit heures d'intenses négociations entre les partenaires de coalition. L'enjeu est considérable, et le pays particulièrement en retard sur ces questions. L'Allemagne s'apprête à manquer ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2020. Pour 2030, le pays souhaite atteindre une réduction de 55 % comparé à 1990, mais ce but semble irréalisable en l'état. C'est pourquoi, lors de la conférence de presse présentant ce très attendu plan, la chancelière, qui se voudrait celle «du climat», a pris soin d'afficher sa bonne volonté.

Déambulateurs. Car la pression de la société allemande est importante, et Merkel comme le gouvernement sont attendus au tournant. Selon un sondage publié vendredi, 63 % des Allemands interrogés estiment que la protection du climat est plus importante que la croissance économique. Plus surprenant, les électeurs de quasiment tous les partis du pays, même les libéraux du FDP, suivent cette tendance - seule exception, l'AfD, formation d'extrême droite à la fois libérale et climatosceptique.

Vendredi, des manifestations pour le climat étaient organisées dans 575 villes allemandes, du jamais vu pour cette cause. Les organisateurs annoncent plus de 200 000 personnes à Berlin, 100 000 à Hambourg, 70 000 à Cologne. Dans la capitale, beaucoup de manifestants pour le climat foulaient le pavé pour la première fois : employés des transports en commun de la ville, octogénaires avec déambulateurs, et même les joueurs de l'équipe junior de hockey sur glace, les Eisbären («les ours polaires»), venus défiler avec leur entraîneur.

L'opinion réclame des efforts, et tout de suite. Sauf que l'affaire ressemble à la quadrature du cercle. Comment réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l'énergie, le bâtiment, l'agriculture, l'industrie et les transports, avec un plan dont le coût doit s'élever à 100 milliards d'euros d'ici à 2030, sans renoncer au principe d'orthodoxie budgétaire du pays, régi par le sacro-saint Schwarze Null («zéro noir», soit un équilibre budgétaire parfait) ? Parmi la série de mesures proposées vendredi, l'augmentation du prix de l'essence et du gazole d'environ 3 centimes le litre, puis de 9 à 15 centimes d'ici à 2026. Le gouvernement souhaite également encourager l'achat de voitures électriques (avec pour objectif un million de stations de recharge supplémentaires d'ici à 2030, et 7 à 10 millions de véhicules électriques immatriculés), baisser la TVA sur les billets de train longue distance tout en taxant davantage l'avion, ou encore favoriser les transports en commun.

La question qui a concentré la majorité des discussions concerne le prix du CO2. Si les sociaux-démocrates prônaient un recours à la taxe carbone, la CDU s'y refusait catégoriquement, effrayée des conséquences sociales d'une telle mesure. Le gouvernement s'est finalement prononcé pour une extension du marché européen du carbone, basé sur le système communautaire d'échange de quotas d'émissions. Mais pour l'activiste Joachim Fünfgelt, «ce système est beaucoup trop long à mettre en place avant de prouver son efficacité. Or nous n'avons plus de temps à perdre». «Si on fait cela sans contrôle et sans régulations, on court à la catastrophe», estime Gregor Hagedorn de Scientists for Future, collectif engagé aux côtés des militants de Fridays for Future. Ce système dépend du prix fixé de la tonne de CO2. Le gouvernement l'a fixé à 10 euros dans un premier temps, un chiffre très critiqué. «Un prix initial de 10 euros la tonne est bien trop faible comparé à ce que font déjà d'autres pays, et surtout, bien en deçà de ce qui est nécessaire afin de mettre fin aux dégâts environnementaux», déplorait vendredi le bureau de l'OCDE à Berlin.

Vilipendé. Bien avant d'être dévoilé, ce plan était déjà critiqué pour son manque d'ambition par le Conseil des experts de l'environnement, qui prône, lui, une série de mesures qui seraient particulièrement impopulaires outre-Rhin, telles que des autoroutes à péage ou encore mettre fin à la vitesse illimitée sur les autoroutes.

A peine dévoilé, le plan a par ailleurs été vilipendé par des associations écologistes, comme Greenpeace, qui dénonce le «manque de responsabilité morale» du SPD et de la CDU, ou encore l'une des figures de proue de Fridays for Future en Allemagne, Luisa Neubauer, qui parle de «scandale». Le mouvement inspiré par Greta Thunberg, qui revendique en tout 1,4 million de manifestants dans toute l'Allemagne, appelle à battre le pavé de nouveau vendredi prochain.