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Libération
Chronique «L'Âge bête»

Alerte sur la baleine noire

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Disparu en Europe, le mammifère marin est en voie de disparition en Amérique du Nord.
Une baleine franche australe au large de Puerto Piramides, dans la péninsule de Valdez, en Argentine, le 13 juin 2006. (Photo Juan Mabromata. AFP)
publié le 22 septembre 2019 à 10h45

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Sombre été pour la baleine noire. Huit spécimens de l'Atlantique Nord ont péri dans les eaux canadiennes. Une neuvième carcasse a été retrouvée aux Etats-Unis le 16 septembre. Ces morts estivales correspondent à un déclin de 2 % de la population de ce mammifère pourtant protégé, compte le site Baleines en direct. Depuis 2017, une trentaine de ces baleines sont mortes dans les eaux nord-américaines.

La baleine franche de l'Atlantique Nord, son autre nom, a une drôle de tête avec des excroissances qui ressemblent à des incrustations de roche, comme si elle était en train de se fossiliser. Disparue côté européen à cause de la chasse intensive au XVIIIe et XIXe siècle, l'espèce ne comporte plus que 400 individus au large de l'Amérique. «Ce qui est très préoccupant, c'est que cette population, qui n'a subi aucune capture par chasse depuis les années 30, ne parvient pas à reconstituer ses effectifs à cause de ces mortalités accidentelles», explique Vincent Ridoux, professeur à l'université de La Rochelle et membre de la délégation française à la Commission baleinière internationale.

Casiers et cordes

La cause est humaine : collisions avec les navires de transport, emmêlement dans des engins de pêche en activité ou en épave flottante à la dérive sont le plus souvent à l'origine du décès. «S'ajoute à cela le bruit ambiant dû à la navigation et aux industries maritimes, et la pollution», complète Vincent Ridoux. «Avec les taux de natalité et de mortalité actuels, […] il nous reste environ vingt ans avant que l'espèce ne disparaisse complètement», prévient la biologiste Lyne Morissette, interrogée par TV5 Monde. Scénario particulièrement pessimiste.

Outre-Atlantique, certains biologistes estiment que le gouvernement canadien a réagi trop tard. En 2017, celui-ci a rehaussé les quotas de pêche du crabe des neiges, qui utilise casiers et cordes, dans le golfe du Saint-Laurent alors que des études avertissaient sur la présence accrue de baleines. Cela a débouché sur une vague de mortalité chez le mammifère. Des mesures d'urgence ont alors été prises, telles que la fermeture d'une zone de pêche au crabe.

Détection acoustique

Que faire pour éviter l'extinction ? Cet été, le gouvernement canadien a instauré davantage de zones où la vitesse de navigation était limitée afin de réduire le nombre et la gravité des collisions. Mais cela n'a été que temporaire. Il a aussi renforcé les vols de repérage des baleines. Autres solutions : la régulation du trafic maritime pour le détourner des zones de plus forte densité de baleines et l'adaptation des engins de pêches pour réduire les risques d'emmêlement. L'organisation Océana a lancé une campagne début septembre pour demander aux Etats-Unis et au Canada de renforcer ensemble les mesures de protection des baleines. Mais le dialogue est compliqué. Dans le Maine, aux Etats-Unis, les pêcheurs de homards se rebiffent. Un nouveau plan de protection de la baleine veut leur imposer une baisse du nombre de cordages de bouées, ce qu'ils refusent, pointant la responsabilité de leur voisin canadien, statistiques à l'appui.

Selon Vincent Ridoux, le Canada pourrait aussi miser sur «la détection acoustique en direct de la position des baleines» qui permet de «gérer en temps réel la navigation et de réduire le nombre de collisions». Il préconise de miser sur un meilleur «partage en direct d'informations sur les observations de baleines faites par les personnels navigants». C'est ce qu'ont déjà obligation de faire les navires français qui vont régulièrement dans les sanctuaires marins Pelagos (Méditerranée occidentale) et Agoa (Antilles).