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Libération
Reportage

Dans un train de nuit en Autriche, discussions vertes avant les législatives

Entre couchettes de première et compartiments de seconde, les Autrichiens parlent de ce mode de transport et de l’écologie qui s’est imposée dans la campagne électorale.
Un train de nuit, de Vienne vers l'Allemagne, ce vendredi. (Photo Alex Halada. AFP)
par Céline Béal, Correspondante à Vienne
publié le 27 septembre 2019 à 17h29

Vienne, gare centrale, 23 heures. Norbert Steinkopf patiente tranquillement. La compagnie ferroviaire autrichienne ÖBB lui a envoyé un mail pour le prévenir que son Nightjet 246 à destination de Brégence partirait avec neuf minutes de retard. Le jeune informaticien allemand affectionne les trains de nuit. «C'est dommage que chez nous, en Allemagne, il n'y en ait plus». Alors que la plupart des pays européens liquident leurs lignes de nuit, la compagnie OBB investit à tour de bras. Elle en a même racheté à la Deutsche Bahn allemande. Un choix probablement rentable, car les Autrichiens n'hésitent pas à utiliser ce mode de transport. En moyenne, un Autrichien parcourt près de 1 400 kilomètres de rails par an. En Europe, seuls les Suisses font mieux.

«Si tous les pays pouvaient penser comme l'Autriche…» soupire un quinquagénaire en veste vert citron, avant de grimper dans un wagon. Originaire du Vorarlberg, région montagneuse la plus occidentale du pays, ce «grand fan du train de nuit» est convaincu de l'importance de sauvegarder l'environnement. Pour lui pas de doute : son pays va dans la bonne direction.

 Changements dramatiques

L’Autriche a beau paraître verte dès lors qu’il s’agit de secteurs tels le ferroviaire, l’agriculture bio ou encore les énergies renouvelables, elle l'est nettement moins sur d’autres sujets, malgré des citoyens qui se disent toujours plus concernés par les questions environnementales. La plupart des partis politiques l’ont d’ailleurs bien compris: pendant cette campagne pour les législatives, ils y sont allés de leurs propositions environnementalistes, plus ou moins sérieuses.

A Vienne, le train démarre doucement. Après une vingtaine d'arrêts (à Linz, Salzbourg, Innsbruck…), il lui faudra neuf heures et demie pour parcourir les 600 kilomètres qui le sépare de Brégence. Dans le wagon-lits, Franz Felber traîne un peu sur le palier de son compartiment individuel. A 70 ans, il explique que les longs trajets en auto le fatiguent, c'est pour ça qu'il prend régulièrement le Nightjet. Sa voiture, une Tesla, voyage d'ailleurs avec lui, remorquée avec une dizaine d'autres, en queue de convoi. «L'environnement, c'est devenu plus important pour moi avec le temps, constate-t-il, parce que les conséquences du changement climatique sont maintenant dramatiques.» Et puis, il aime bien Greta Thunberg. Il votera à droite aux législatives. «Je suis un entrepreneur», précise-t-il. A la tête d'une des grandes chaînes de boulangeries du pays, il croit possible de concilier écologie et économie.

Quelques mètres plus loin, la porte d'un compartiment est encore ouverte. A l'intérieur. Christian Vögel se présente comme un grand écolo : «J'ai des enfants !» Cela vaut explication. Mais alors, une taxe carbone telle qu'elle est discutée en ce moment en Autriche, non merci. Il n'en veut pas. Par souci de justice sociale. Lui préfère qu'on taxe le kérosène des avions ou les grandes compagnies pétrolières. Il est conseiller municipal dans la petite ville alpine de Götzis, social-démocrate. Il prône une action internationale. L'Autriche est certes un petit pays, mais «nous devons être un modèle», répète-t-il plusieurs fois, convaincu.

«On nous casse les bonbons avec l’écologie !»

Dans le wagon de tête, des hommes de toutes évidences alcoolisés chahutent entre eux. Slobodan Krstic attend qu'ils se calment pour rejoindre sa place. Français expatrié en Autriche de longue date, lui est un habitué de ces trains Nightjet. Sa profession? Chauffeur routier depuis une vingtaine d'années. Il y a deux ans, l'entreprise qui l'emploie a décidé d'arrêter sa ligne Mulhouse-Vienne. Il vit toujours dans la région viennoise, mais doit laisser son camion à Brégence en fin de semaine et traverser tout le pays par ses propres moyens pour regagner son toit le week-end. «On nous casse les bonbons avec l'écologie!» assène-t-il sans précaution de langage. Dans ce train, les propos de Slobodan Krstic tranchent avec les avis de la plupart des autres passagers.

«Quand je mets en route mon camion le matin, il n'y a pas de fumée. Les camions, ça ne pollue plus.» Le routier admet que son explication n'est pas très scientifique. Pourquoi ne voyage-t-il pas par la route ? «C'est très simple. Si je prends la voiture, ça me coûte cent euros aller-retour. Avec le train, c'est soixante-dix.» La question du prix transports en commun est justement au cœur des discussions politiques. Sociaux-démocrates et écologistes proposent des abonnements à un, deux ou trois euros par jour dans tout le pays. Une mesure populaire, mais les experts recommandent plutôt de taxer le carbone. Les Verts sont pour quand les trois grands partis de gauche, de droite, et d'extrême droite refusent.

Dans ce train qui file en direction de Brégence, la plupart des passagers ne sont pas franchement au clair avec les positions des uns ou des autres candidats. Ils parlent plus volontiers de Greta Thunberg. Une jeune étudiante de Basse-Autriche aux cheveux teints en vert foncé a défilé une fois à une manif «Fridays for Future», à Amstetten, «pour voir l'ambiance». A côté d'elle, un quadra dit que cela ne changera rien. «Il y a eu le mouvement des années 60, celui des années 80, pourtant on ne fait toujours rien.» C'est le premier électeur des Verts croisé dans cette rame. Son parti de prédilection devrait faire son grand retour au parlement autrichien. Mais Christian est désillusionné. Il est presque 1 heure du matin, ça ira peut-être mieux demain.