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Libération
Récit

Hongkong : Carrie Lam tombe le masque

La cheffe de l’exécutif hongkongais a invoqué vendredi une loi d’urgence qui n’avait plus été utilisée depuis 1967 pour interdire le port du masque, dans le but d’en finir avec une crise politique sans précédent.
A Hongkong, vendredi. (Photo Athit Perawongmetha. Reuters)
publié le 4 octobre 2019 à 20h31

Ironie de l’histoire, c’est une loi de l’époque coloniale britannique qui vient voler au secours du Parti communiste chinois. Incapables de mater la contestation à Hongkong, les autorités ont dégainé un texte anti-masque en invoquant une loi d’urgence de 1922. Il est désormais interdit de se couvrir le visage lors de rassemblements ou manifestations publics. Cette loi signe peut-être la fin de l’Etat de droit dans la région chinoise semi-autonome.

La mesure de Carrie Lam, cheffe de l'exécutif local, entrée en vigueur vendredi soir à minuit, devait «dissuader» les manifestants. Elle n'a fait qu'attiser les colères. Hongkong s'est embrasé. La soirée a été rythmée par les sirènes hurlantes, les tirs de lacrymogènes et des milliers de personnes criant dans les rues : «Hongkongais, résistance !» «Après minuit et les heures d'après, et les jours d'après, je continuerai à manifester, et masqué», promettait ainsi un habitant de Tseung Kwan O (quartier de la partie continentale de Hongkong). Ici comme partout dans le territoire, des protestataires ont entassé barrières en plastique, palettes de bois ou plots de circulation pour former une barricade, avant d'y mettre le feu. Ailleurs, un garçon de 14 ans a été blessé par balles et un homme présenté comme un policier en civil agressé, selon la presse locale.

Pleins pouvoirs

L'objectif affiché des autorités avec cette loi était de créer «un effet dissuasif» et permettre de «restaurer l'ordre» dans le centre financier chahuté depuis plus de quatre mois. Dès juin et les premiers rassemblements massifs contre le projet de loi sur les extraditions, les plus jeunes avaient commencé à porter des masques chirurgicaux pour éviter qu'on les reconnaisse, refroidis par le sort réservé aux meneurs du mouvement des parapluies de 2014 reconnus coupables - et pour la plupart emprisonnés - sur la base d'enregistrements vidéo faits par la police ou par les innombrables caméras de surveillance.

A mesure que les ripostes de la police se sont faites plus intenses, des masques à gaz toujours plus sophistiqués ont remplacé les masques en tissu. Foulards, cache-cou, lunettes et casques ont complété la panoplie jusqu’à couvrir totalement le visage des plus radicaux. Et les caméras sont devenues des cibles pour les manifestants.

Complètement débordé par ces manifestants toujours plus radicaux, le gouvernement a donc dépoussiéré une loi d’urgence de 1922. Elle n’avait plus été utilisée depuis 1967 et les émeutes fomentées - selon beaucoup d’historiens - par les «gauchistes», comme on appelait alors… les militants pro-communistes chinois.

La loi anti-masques sera présentée au Parlement, qui fera sa rentrée le 16 octobre. Une formalité a priori, car le camp favorable à Pékin y est ultra-majoritaire. Mais comment distinguer un «émeutier» d'un malade dans cette région de 7,5 millions d'habitants où les gens portent un masque au moindre rhume (un reste du traumatisme causé par l'épidémie de Sras en 2003) ? «Et si nous sommes encore des milliers à porter un masque, comment fera la police pour tous nous arrêter ? Jamais le gouvernement ne pourra appliquer la mesure», raille un manifestant.

Le gouvernement pourra en revanche frapper beaucoup plus fort. L’exécutif détient désormais de facto les quasi-pleins pouvoirs. En invoquant la loi d’urgence, la cheffe de l’exécutif peut recourir à la censure, instaurer des couvre-feux, prendre le contrôle de la presse, des ports et des transports. Elle peut aussi modifier les règles d’arrestation et de perquisition et procéder à des expropriations, soit la fin de l’Etat de droit qui faisait de Hongkong l’une des principales places financières au monde.

Loi martiale

«La loi d'urgence ne signifie pas que Hongkong est dans un état d'urgence, ni que nous déclarons l'état d'urgence», a voulu rassurer la dirigeante imposée par Pékin. Mais, pressée par les journalistes, elle a fini par lâcher que «les libertés n'étaient pas sans limite».

En cas d'échec, quelle serait l'étape suivante ? «On n'est pas sûr que l'objectif sera atteint» avec la loi antimasque, a reconnu Carrie Lam. S'il ne l'est pas, «nous continuerons à identifier les moyens pour régler la situation» et «nous nous montrerons très prudents et prendrons en compte tous les intérêts de Hongkong», les intérêts économiques en particulier.

Pour l'opposition, ce texte n'est rien d'autre qu'une loi martiale. «Cela va ruiner la réputation de Hongkong et son rôle de centre financier et de ville libre, s'est désolé le député Charles Mok. Imposer la loi d'urgence et ses régulations ne fera pas taire la contestation, ni l'instabilité, même si elle interdit Telegram [la messagerie cryptée est le principal canal d'organisation des manifestants, ndlr]. Quand tous les hommes d'affaires auront mis les voiles, ce ne sera pas à cause des manifestations, mais à cause de la gestion de la crise calamiteuse du gouvernement qui veut supprimer les libertés et, en s'attaquant à Internet, potentiellement supprimer la libre circulation des capitaux. S'il fait tout ça, alors le gouvernement aura tué Hongkong, et la Chine se sera tiré une balle dans le pied.»