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Libération
Récit

Hongkong : nouvelles manifestations après l'interdiction du port du masque

Pour enrayer la contestation, les autorités ont invoqué une loi d'urgence qui n'avait pas été utilisée depuis un demi-siècle. En réponse, les manifestants ont érigé de nouvelles barricades et vandalisé des stations de métro.
Des manifestants transportent du matériel de chantier public pour la constitution d'un barrage ou d'une barricade, à Hongkong ce vendredi. (SUSANA VERA/Photo Susana Vera. Reuters)
publié le 4 octobre 2019 à 13h30
(mis à jour le 4 octobre 2019 à 17h53)

Ironie de l’histoire, c’est une loi de l’époque coloniale britannique qui vient voler au secours du Parti communiste chinois. Incapables de mater la contestation à Hongkong, les autorités ont dégainé un texte antimasque en invoquant une loi d’urgence de 1922. Véritable boîte de Pandore, son utilisation signe peut-être la fin de l’état de droit dans la région chinoise semi-autonome.

La mesure de Carrie Lam, entrée en vigueur vendredi soir à minuit, heure locale, devait «dissuader» les manifestants. Elle n'a fait qu'attiser les colères. Hongkong s'est embrasé. La soirée a été rythmée par les sirènes hurlantes, les tirs de lacrymogènes et des milliers de personnes criant dans les rues «Hongkongais, résistance!»«Après minuit et les heures d'après, et les jours d'après, je continuerai à manifester, et masqué», promettait ainsi un habitant de Tseung Kwan O (quartier de la partie continentale de Hongkong) devant la station de métro vandalisée, comme de nombreuses autres. Ici comme aux quatre coins du territoire, des protestataires ont entassé barrières en plastique, palettes de bois ou plots de circulation pour former une barricade, avant d'y mettre le feu. Ailleurs, un garçon de 14 ans a été blessé par balles par un policier en civil, qui a été ensuite agressé par la foule, a confirmé la police.

Hongkong s'est enfoncé dans «une situation chaotique et de panique» et la violence a atteint un niveau «alarmant», avait expliqué, plus tôt dans la journée, la cheffe de l'exécutif local, Carrie Lam, devant la presse. Comme «beaucoup d'étudiants participent à ces manifestations violentes et ces émeutes», le gouvernement a décidé d'utiliser une régulation interdisant de se couvrir le visage lors de rassemblements ou manifestations publics. Objectif affiché des autorités : créée «un effet dissuasif» et permettre de «restaurer l'ordre» dans le centre financier chahuté depuis plus de quatre mois.

Dès juin et les premiers rassemblements massifs contre le projet de loi sur les extraditions, les plus jeunes avaient commencé à porter des masques chirurgicaux pour protéger leur identité. Ils avaient été refroidis par le sort réservé quelques mois plus tôt aux meneurs du mouvement des parapluies de 2014, reconnus coupables – et pour la plupart emprisonnés – sur la base d’enregistrements vidéo faits par la police ou par les innombrables caméras de surveillance qui truffent le territoire.

A mesure que les ripostes de la police se sont faites plus intenses, des masques à gaz toujours plus sophistiqués ont remplacé les masques en tissu. Foulards, cache-cou, lunettes et casques ont ensuite complété la panoplie jusqu’à couvrir totalement le visage des plus radicaux. Dans le même temps, les caméras de surveillance sont devenues une cible pour les manifestants. Rien que dans le métro, plus de 700 ont été vandalisées depuis que la police y a procédé fin août à des arrestations musclées.

Pleins pouvoirs

Complètement débordé par ces manifestants toujours plus radicaux, le gouvernement a donc dépoussiéré une loi d’urgence de 1922. Elle n’avait plus été utilisée depuis 1967 et les émeutes fomentées – selon beaucoup d’historiens – par les «gauchistes», comme on appelait alors… les militants pro-communistes chinois.

La loi antimasque sera présentée au parlement local, qui fait sa rentrée le 16 octobre, une formalité a priori car le camp favorable à Pékin y est ultra-majoritaire. D’ores et déjà, les établissements scolaires ont reçu pour injonction de rappeler qu’à partir de samedi, étudiants, enseignants et personnels ne devront pas porter de masque dans l’enceinte de l’école ni à l’extérieur.

Mais comment distinguer un «émeutier» d'un malade dans cette région de 7,5 millions d'habitants où les gens portent un masque au moindre rhume (un reste du traumatisme causé par l'épidémie de Sras en 2003) ? «Et si nous sommes encore des milliers à porter un masque, comment fera la police pour tous nous arrêter ? Jamais le gouvernement ne pourra appliquer la mesure», raille un manifestant sous couvert d'anonymat.

Le gouvernement pourra en revanche frapper beaucoup plus fort. L’exécutif détient désormais de facto les quasi pleins pouvoirs. En invoquant la loi d’urgence, la cheffe de l’exécutif peut recourir à la censure, instaurer des couvre-feux, prendre le contrôle de la presse, des ports et des transports. Elle peut également modifier les règles d’arrestation et de perquisition et procéder à des expropriations, soit la fin de l’état de droit qui faisait de Hongkong l’un des principales places financières au monde.

«La loi d'urgence ne signifie pas que Hongkong est dans un état d'urgence ni que nous déclarons l'état d'urgence», a voulu rassurer la dirigeante imposée par Pékin. Mais, pressée par les journalistes, elle a fini par lâcher que «les libertés n'étaient pas sans limite». En cas d'échec, quelle serait l'étape suivante ? «On n'est pas sûr que l'objectif sera atteint» avec la loi antimasque, a reconnu Carrie Lam. S'il ne l'est pas, «nous continuerons à identifier les moyens pour régler la situation» et «nous nous montrerons très prudents et prendrons en compte tous les intérêts de Hongkong», économiques en particulier. La Bourse locale a clôturé à la baisse (-1,1 %) après l'annonce.

«Ruiner la réputation de Hongkong»

Pour l'opposition, ce texte n'est rien d'autre qu'une loi martiale. «Cela va ruiner la réputation de Hongkong et son rôle de centre financier et de ville libre, s'est désolé le député Charles Mok. Imposer la loi d'urgence et ses régulations ne fera pas taire la contestation ni l'instabilité, même si elle interdit Telegram, la messagerie cryptée et principal canal d'organisation des manifestants. Quand tous les hommes d'affaires auront mis les voiles, ce ne sera pas à cause des manifestations mais à cause de la gestion de la crise calamiteuse du gouvernement qui veut supprimer les libertés, et en s'attaquant à Internet potentiellement, supprimer la libre circulation des capitaux. S'il fait tout ça, alors le gouvernement aura tué Hongkong, et la Chine se sera tiré une balle dans le pied.»