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Libération
Le «Libé» des historien.ne.s

Fonds mondial de lutte contre le sida : un chiffre et des êtres

Mercredi s’est ouverte à Lyon la conférence de reconstitution des ressources de la coopération financière internationale qui lutte contre la tuberculose, le sida et le paludisme. Mais les dons, même importants, sont-ils en mesure de modifier durablement les courbes épidémiologiques ?
Des mères séropositives et leurs enfants au centre de santé de Munhava à Beira (Mozambique) le 15 juin 2012. (Photo Eli Reed. Magnum Photos)
publié le 9 octobre 2019 à 20h01

Lyon est depuis mercredi le théâtre d'un événement attendu. Attendu par la communauté internationale, attendu par celles et ceux qui ont fait de l'éradication mondiale de la tuberculose, du sida et du paludisme un objectif pour 2030 : associations, pays destinataires, personnes malades. La conférence de reconstitution du Fonds mondial est aussi attendue par le président Emmanuel Macron qui a déployé depuis plusieurs mois une réelle activité diplomatique, poursuivant avec une tradition française (lire ci-contre) pour porter cette nouvelle étape dans la gouvernance mondiale de la santé. La conférence de Lyon est d'autant plus attendue que les objectifs sanitaires, des mots mêmes du directeur exécutif du Fonds mondial Peter Sand, ne seront vraisemblablement pas atteints : «La communauté internationale n'est pas sur la bonne voie pour en finir avec ces épidémies.» Pour la lutte contre le VIH, l'accès à une offre de prévention, de dépistage et de soin, comme le soulignait le Conseil national du sida dans une note valant avis du 18 avril, juste avant la tenue à Paris d'un G7 santé, demeure restreint : «En Afrique de l'Ouest et du Centre, qui comptait en 2017 un cinquième des nouvelles infections par le VIH, 48 % seulement des personnes vivant avec le VIH connaissaient leur statut sérologique.»

En attendant, ce jeudi matin, l’annonce de la contribution française, jusque-là tenue secrète par le président de la République, qui devrait suivre celle, certes plus importante, du premier financeur que sont les Etats-Unis, dans les allées du forum réunissant les acteurs non-gouvernementaux, une question occupe tous les esprits : un chiffre peut-il changer le cours de l’histoire ?

Moins spectaculaire

Le Fonds mondial est à maints égards l'initiative la plus remarquable depuis le début du siècle en matière de mobilisation et de solidarité mondiale ; une alliance entre autant de pays paraissait pourtant improbable pour lancer une lutte mondiale contre les trois principales pandémies. Or, depuis 2002, cette riposte exceptionnelle a été pour la première fois mise sur pied, constituant près de la moitié des financements internationaux dans le champ de la santé, développant une politique verticale. Si toutes et tous s'accordent sur la nécessité d'accroître encore les contributions - dès le G7 de Biarritz, le 25 août, l'Allemagne avait annoncé un don d'un milliard d'euros sur trois ans, soit une augmentation de 17,6 % -, la somme des dons est-elle en mesure de modifier durablement les courbes épidémiologiques ? Autrement dit, le Fonds mondial doit-il maintenir sa lutte ciblée contre ces trois épidémies, avec un bilan incontestable résumé en un autre chiffre «32 millions de vies sauvées» ou bien adopter un autre modèle, moins spectaculaire mais dont les effets se feront aussi sentir dans la lutte contre les maladies chroniques qui tuent aujourd'hui plus que les trois pandémies. Les avantages de l'approche «horizontale» visant à renforcer les infrastructures de santé, les équipements et les ressources humaines, sont de plus en plus souvent énoncés.

Invisibilité

Un changement de politique se cache-t-il dans l'accroissement des contributions ? D'aucuns ne le cachent pas à Lyon. Le temps est à la collecte ; mercredi, la ministre de la Santé se gardait bien de problématiser, appelant à «une mobilisation financière internationale dans un cadre multilatéral pour sauver 16 millions de vies dans les trois prochaines années». Il se dit que certains pays plus généreux cette année comptent, une fois Lyon passé, se faire plus présents dans les instances de décision du Fonds mondial et favoriser cette autre politique. Le chiffre des contributions va-t-il paradoxalement participer à la progressive invisibilité de la pandémie de VIH ? C'est l'une des inquiétudes des acteurs de la lutte contre le sida. Après avoir permis une mobilisation contre la tuberculose et le paludisme, le VIH pourrait en faire les frais au moment où on ne peut crier victoire. L'événement est à venir : si un chiffre peut changer l'histoire, c'est bien celui de la mise sous traitement des personnes vivant avec le virus, et ce, le plus tôt après la contamination - rappelons qu'en France, ce délai est pour les nouveaux diagnostics d'encore trois années - ce qui permettra l'éradication effective de la pandémie.

Philippe Artières est membre du Conseil national du sida et des hépatites virales.