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Libération
Chronique «Les mots secouent»

«СИЛОВИКИ» : les hommes forts de Vladimir Poutine

En Russie, les mots secouentdossier
Petit glossaire de la réalité russe à travers des mots qui n'ont pas toujours une traduction exacte, ni même d'équivalent, dans la réalité française.
Vladimir Poutine, lors d'une parade militaire à Moscou le 23 février. (POOL New/Photo Kirill Kudryavtsev. REUTERS)
publié le 11 octobre 2019 à 9h57

Силовики. Siloviki. Pluriel de silovik, membre des agences du maintien de l'ordre – ministères et structures auxquels le pouvoir délègue son monopole de violence légitime. Soit la police, les services de renseignement – FSB, GRU, SVR –, le système pénitentiaire, le comité d'enquête et le parquet, l'armée, la garde nationale, qui forment aujourd'hui la «colonne vertébrale», la «matrice» du système politique russe, une sorte d'«Etat profond», selon les expressions utilisées par Nikolaï Petrov, politologue au think tank Chatham House.

Dès son arrivée au pouvoir au début des années 2000, Vladimir Poutine, issu du KGB pour lequel il avait été en poste à Berlin jusqu’à la réunification allemande, commence à placer ses amis et collègues tchékistes aux postes clés politiques et sécuritaires à travers le pays. La plupart des hauts gradés actuels, en place depuis plus de dix ans (le procureur général Ioury Tchaïka, le chef du comité d’enquête Alexandre Bastrykin, le patron du FSB Alexandre Bortnikov) sont de la génération de Poutine, et issus du KGB-FSB.

Aujourd'hui, la Russie compte près de 4,5 millions de siloviki, toutes branches confondues, c'est-à-dire 6% de la population active du pays: 1,9 million de militaires, 900 000 policiers, 400 000 gardes nationaux, 300 000 membres du ministère des Situations d'urgence, 300 000 matons, 200 000 agents du FSB et douaniers… Plus qu'à l'époque soviétique, alors la Russie est plus petite que l'URSS, aussi bien en superficie qu'en population. «La Russie est définitivement devenue un Etat de siloviki en 2014, écrit Nikolaï Petrov. C'est à ce moment-là que la logique des prises de décision a changé. Les siloviki sont devenus les hommes de première main.» Leur rôle et leur pouvoir n'a cessé de croître depuis, tandis que les institutions politiques faiblissaient.

«Désunion et conflictualité»

La dernière illustration en date de la domination des siloviki sur la vie politique russe, ce sont les élections municipales à Moscou, cet été, qui ont provoqué un bras de fer sans précédent depuis des années entre la société civile et les forces de l'ordre – des manifestations massives, et des répressions sévères avec des peines de prison réelles pour des crimes inexistants. «D'abord, les experts du ministère de l'Intérieur et du FSB se sont débarrassés des candidats indésirables pour le pouvoir, et ensuite, quand la contestation a monté, la garde nationale, le comité d'enquête et les tribunaux sont entrés dans le jeu. Tels sont les leviers que le pouvoir utilise pour contrôler des élections», explique Petrov.

Mais cet «Etat profond», loin de former une nomenklatura homogène, unifiée et unanime, est composé de structures qui se tirent la bourre, entre elles et en leur propre sein, se disputant les zones d'influence, le contrôle des ressources et l'attention du Président. «Et ce qui, précisément, permet au Kremlin de tenir les siloviki sous contrôle (leur désunion et conflictualité), conclut Petrov, est la raison de leur extraordinaire inefficacité quant à la sécurité du pays et des citoyens», c'est-à-dire leur mission première.