Les chiffres en disent long. Au Maroc, entre 130 000 et 300 000 avortements clandestins sont pratiqués chaque année, selon les estimations. L'an dernier, 73 femmes ont été poursuivies pour avoir décidé d'interrompre leur grossesse. La justice prononce très rarement des peines de prison ferme. La journaliste Hajar Raissouni, 28 ans, a pourtant été condamnée le 30 septembre à un an de détention pour «avortement illégal» et «relations sexuelles hors mariage» par un tribunal de Rabat, provoquant un tollé dans le royaume et à l'étranger (lire Libération du 1er octobre ).
Cabale
L'affaire a suscité l'indignation des défenseurs des droits humains - qui dénoncent les articles 449 à 458 du code pénal marocain criminalisant l'avortement et l'article 490 pénalisant les relations sexuelles hors mariage -, mais aussi des militants pro-démocratie, qui estiment que Hajar Raissouni est la victime d'une cabale politique en raison de son travail de journaliste engagée et de son appartenance à une famille bien connue de dissidents. Elle est à la fois la nièce du rédacteur en chef du quotidien arabophone Akhbar Al Youm, Souleymane Raissouni, et d'Ahmed Raissouni, le fondateur du Mouvement de l'unicité et de la réforme (MUR), matrice idéologique du Parti de la justice et du développement, la formation islamiste au pouvoir depuis 2012 et qui dérange de longue date le Palais.
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Tout au long du procès, beaucoup de personnes ont parlé pour Hajar Raissouni. Des avocats, des membres d'ONG, des hommes et des femmes politiques, des proches, des artistes, des intellectuels… Libération a tenté de donner la parole à la jeune femme, enfermée à la prison d'Arjat. Son oncle Souleymane Raissouni a pu lui rendre visite mercredi, et a retranscrit ses paroles pour publication dans nos colonnes. Ses propos «résumés» ne sont donc pas rapportés directement.
«Mensonges»
«Moi, Hajar Raissouni, continue de clamer mon innocence confirmée par l'expertise médicale», débute la jeune fille, qui nie tout avortement, assurant avoir été traitée pour une hémorragie interne, ce que son gynécologue a confirmé au tribunal. La journaliste décrit son procès comme un «règlement de compte envers [s]a famille, [son] journal et [elle]-même». «L'intention de se venger était évidente au regard des publications de la presse à scandale, manipulée par certains appareils du pouvoir, et qui ne cesse de propager des mensonges nuisant à ma famille, poursuit-elle. Il est évident que le but de mon arrestation est de se venger de mon activité journalistique à Akhbar Al Youm, le quotidien qui couvre le plus les manifestations sociales et politiques, dont le Hirak du Rif [mouvement dans le nord du pays de 2016 à 2018, ndlr].» Hajar Raissouni a été condamnée en même temps que son fiancé, Rifaat al-Amine (un an ferme), et son médecin (deux ans). «Je suis convaincue que la cour d'appel nous rendra justice, assure-t-elle dans le texte transmis par son oncle. Je considère que les libertés individuelles sont un droit de chacun et que nul ne doit s'en mêler, y compris l'Etat.»