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Libération
Récit

La journaliste marocaine Hajar Raissouni graciée par le roi

Le sort de la femme de 28 ans, condamnée à un an de prison pour un avortement illégal qu’elle a toujours nié, avait suscité une vive émotion dans son pays. Mohammed VI a finalement décidé de la libérer, tout comme son mari et les médecins accusés dans l’affaire.
Lors d’une manifestation de soutien à la journaliste marocaine Hajar Raissouni, le 9 septembre à Rabat. (Photo Youssef Boudlal. Reuters)
publié le 16 octobre 2019 à 21h11

D'abord la bonne nouvelle. Hajar Raissouni, journaliste marocaine condamnée à un an de prison ferme le 30 septembre pour «avortement illégal» et «relations sexuelles hors mariage», a été libérée mercredi soir. Tout comme son fiancé et son médecin, la journaliste de 28 ans, qui dénonçait dans nos colonnes mardi un «règlement de compte envers [s]a famille, [s]on journal et [elle]-même», a bénéficié d'une grâce royale. Un soulagement pour les défenseurs des droits humains, qui avaient fait de cette affaire un symbole des lois liberticides en vigueur dans le royaume, et un cas d'école de leur instrumentalisation par le régime pour museler les voix gênantes.

Des outils institutionnels de répression

Pourtant, la sortie de prison de Hajar Raissouni, aussi réjouissante soit-elle, est une victoire amère pour les féministes et les militants prodémocratie. Les articles 449 à 458 du code pénal marocain, criminalisant l’avortement, et l’article 490, pénalisant les relations sexuelles hors mariage, restent toujours en vigueur. Et les tribunaux marocains sont une nouvelle fois - après la lourde condamnation des révoltés du Rif, l’an dernier - apparus comme aux ordres du pouvoir. Les outils institutionnels de la répression, qui plane sur les voix trop ouvertement critiques, ont montré leur efficacité. C’est finalement un geste du monarque, et non une décision de justice, qui rend sa liberté à la jeune femme.

«On se retrouve dans un schéma classique où on attend la décision du sauveur Mohammed VI pour contrôler le conservatisme de la société, déplore le professeur à l'Institut américain universitaire d'Aix-en-Provence Aboubakr Jamaï. C'est ce qui nourrit l'autoritarisme de la monarchie. Le Palais veut faire croire qu'il y a une antinomie entre les libertés politiques et les libertés sociétales.» Le commandeur des croyants, pourtant en «compétition avec les islamistes sur le segment religieux», a privilégié la défense de sa réputation de «protecteur d'une forme de modernité» : l'affaire Hajar Raissouni avait provoqué un tollé à l'étranger. Après la tribune collective rédigée par la romancière Leïla Slimani, parue dans le Monde le 23 septembre et signée par 10 000 personnes, Libération avait consacré sa une aux «hors-la-loi du Maroc» ce mardi.

Des gages aux conservateurs

Dans un communiqué, le ministère marocain de la Justice a indiqué que la décision de Mohammed VI avait été motivée par «la compassion» et le «souci» du souverain de «préserver l'avenir des deux fiancés qui comptaient fonder une famille conformément aux préceptes religieux et à la loi, malgré l'erreur qu'ils auraient commise» - donnant tout de même des gages aux conservateurs. Le roi a pris sa décision «sans entrer dans le débat souverain que les citoyens marocains mènent sur l'évolution de leur société et dans lequel se sont invités, de façon regrettable, certains étrangers, intellectuels, médias et ONG», a précisé une «source gouvernementale» à l'Agence France-Presse.

«Cette affaire est politique, tout comme l'intervention royale», commente pour Libération l'oncle de Hajar, Souleymane Raissouni, rédacteur en chef du quotidien arabophone Akhbar Al Youm. Nous sommes évidemment heureux, cette amnistie est un grand pas pour corriger les erreurs du parquet, du tribunal et de la police. Mais nous attendons que l'innocence de Hajar soit reconnue par la justice.» Le dénouement de l'affaire, à titre individuel, est heureux, mais il montre que «le mouvement du 22 février 2011 [qui avait soulevé des espoirs de démocratisation du royaume, ndlr] n'a pas changé grand-chose», estime Aboubakr Jamaï : «On dépend systématiquement du bon vouloir du monarque, ce qui rend criant le sous-développement institutionnel du Maroc.»