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Libération
Interview

Hajar Raissouni : «Je ne m'attendais pas à ce que le roi me gracie maintenant»

Au lendemain de sa grâce par Mohammed VI, la journaliste de 28 ans répond à «Libé» après une nuit blanche passée avec ses proches à Larache, une ville du nord du Maroc d'où elle est originaire, pour savourer sa libération.
La journaliste de 28 ans retrouve son fiancé, Rifaat al-Amine, à leur sortie de prison ce mercredi à la suite de la grâce royale. (AFP)
publié le 17 octobre 2019 à 17h59

Hajar Raissouni, son fiancé, ainsi que l'équipe médicale qui l'avait prise en charge ont été graciés par le roi du Maroc et immédiatement libérés mercredi. Son téléphone étant encore sous scellé au lendemain de sa libération de la prison d'El Arjat, près de Rabat, nous avons contacté la journaliste de 28 ans via son frère, Amine Raissouni. Tout au long de la communication, des félicitations fusent à l'arrière-plan. Hajar Raissouni avait été condamnée le 30 septembre à un an de prison ferme pour «avortement» et «relations sexuelles hors mariage», provoquant un tollé aussi bien dans le royaume qu'à l'étranger.

Comment avez-vous appris la nouvelle de la grâce royale pour vous et votre fiancé ?

Je lisais dans ma cellule l'Ombre du vent, un roman de Carlos Zafón, quand j'ai entendu des prisonnières crier: «Hajar est graciée! Hajar est graciée!» Je n'y ai pas cru au début, j'avais espoir que le roi me gracie, mais à l'occasion d'un événement national, comme à son habitude, au bout de trois, quatre mois de détention. Pas maintenant, pas si soudainement! J'ai alors allumé la télévision et c'est là que j'ai aperçu la bannière de ma grâce avec celle de mon fiancé et du médecin sur la chaîne d'informations Medi1 TV. A la fois sous le choc et heureuse, j'ai mis trente minutes pour rassembler quelques affaires et sortir. Je suis encore émue par tout le monde qui m'attendait, de ma famille à mes collègues du journal Akhbar Al Yaoum en passant par mes amis… Mais je tiens quand même à ce que mon innocence par rapport à l'avortement soit juridiquement reconnue.

Comment avez-vous vécu votre détention ?

C'était très dur, j'ai perdu 17 kilos en un mois et dix-sept jours de prison parce que je ne me nourrissais que de tomates, de lait, d'œufs et de pommes. Je ne supportais pas la nourriture de la prison et puis j'avais un peu peur aussi. Pour m'occuper, je regardais la télé et je lisais énormément, tous les jours. J'ai refusé que ma mère et mes frères me rendent visite pour ne pas les traumatiser;seul mon oncle, Souleymane [Souleymane Raissouni, rédacteur en chef du journal indépendant Akhbar Al Yaoum, ndlr], venait me voir tous les mercredis, avec les journaux de la semaine sous le bras. Ça m'a beaucoup manqué de ne pas suivre l'actualité au jour le jour… Heureusement, je me suis sentie soutenue par les autres prisonnières et même les employées de la prison, persuadées que j'allais être libérée grâce au roi.

Que pensez-vous du combat pour les libertés individuelles qui a été engagé en votre nom ?

Je suis contente que mon cas ait lancé un débat sur les libertés individuelles, c'est un débat sain. Quant à moi, je reste convaincue que mon arrestation et ma condamnation étaient politiques. Je rappelle que les premières questions posées par les autorités marocaines portaient sur mes oncles, Souleymane Raissouni et Ahmed Raissouni [le fondateur du MUR, mouvement parallèle au PJD, le parti islamiste à la tête du gouvernement, ndlr], ainsi que sur Taoufik Bouachrine, l'ex-patron de presse de Akhbar Al-Yaoum, qui a été condamné à douze ans de prison l'année dernière. Sans oublier mes activités dans le Rif, au nord du Maroc, quand je couvrais le mouvement social du Hirak entre 2016 et 2017.