Venus de plusieurs villes de Catalogne, des dizaines de milliers d’indépendantistes convergent depuis mercredi vers Barcelone pour protester contre le verdict du Tribunal suprême rendu lundi et condamnant neuf leaders sécessionnistes à des peines de prison comprises entre neuf et treize années.
Altercations
De Gérone, de Vic, de Tàrrega ou d'ailleurs, vieux et jeunes, la plupart en battant le pavé, donneront ainsi du souffle à la résistance du camp indépendantiste. Ce dernier considère que la sentence judiciaire est un «attentat contre la démocratie» et exige que les leaders soient graciés. Ces longues marches, organisées par le mouvement civil Assemblée nationale de Catalogne (ANC), ont une «vocation pacifique». Un des slogans proclame : «Nous sommes tous les condamnés de ce procès. Si l'injustice est loi, alors désobéir est un droit.» Même si l'ANC lance des messages d'apaisement, il faut reconnaître que le mouvement séparatiste a passé un cap. Très majoritairement non violent depuis les événements critiques de l'automne 2017 (référendum d'autodétermination illégal et déclaration symbolique de l'indépendance), il n'a aujourd'hui plus peur d'aller à l'affrontement avec les forces de l'ordre. Ainsi, les quatre capitales des provinces de la région - Barcelone, Gérone, Tarragone et Lleida - ont vécu trois nuits de violences consécutives avec routes bloquées, voitures et containers incendiés, ainsi que de nombreux blessés (250 pour la seule journée de mardi, entre policiers et manifestants) et interpellations.
Depuis le début de la semaine, cette montée de violence est la grande nouveauté qui brouille les lignes du conflit catalan. A l'intérieur du camp indépendantiste, marqué par sa diversité sociologique, agissent désormais des groupes cherchant des altercations avec la police, à l'instar des comités de défense de la République (CDR), d'Anonymous Catalunya, Picnic X la Republica, et surtout de Tsunami democràtic. Autant de collectifs qui échangent et agissent via les réseaux sociaux et que les forces de l'ordre ont du mal à court-circuiter. Ces dernières, auteures de charges violentes contre les manifestants, reçoivent leur lot de critiques, à commencer par Reporters sans frontières, qui a aussi dénoncé des «attaques» contre des journalistes.
Ambiguïté
Les gouvernements en présence ont toutes les peines du monde à canaliser et à gérer ces heurts. Alors que le chef de l'exécutif national, Pedro Sánchez, réclame le triptyque «unité, fermeté, proportionnalité», le président de la région catalane, le séparatiste Quim Torra, se meut dans les sables mouvants de l'ambiguïté : après trois jours où il n'a pas hésité à pousser «les Catalans à exprimer dans la rue leur colère contre un verdict inacceptable», et à manifester son soutien public aux CDR ou à Tsunami democràtic (et leurs 275 000 inscrits sur Telegram), il a fini jeudi par condamner la violence et dénoncer «l'irruption d'infiltrés et de vandales».
Un tel panorama d'affrontements et d'extrêmes tensions ne facilite pas la tâche du socialiste Pedro Sánchez, affaibli par la précampagne des législatives du 10 novembre. Entre des séparatistes jusqu'au-boutistes et une opposition de droite qui réclame une main de fer, il fait un grand écart chaque jour plus difficile, essayant de ménager la chèvre et le chou entre des positions irréconciliables. Devant le Parlement catalan, mercredi, le président Quim Torra a persisté dans sa volonté sécessionniste en affirmant qu'au cours de son actuel mandat, il compte bien «exercer le légitime droit des Catalans à l'autodétermination».
Parallèlement, les trois leaders de la droite espagnole ont rugi contre les «atermoiements» et la «mollesse» de Sánchez. Ainsi, le chef de file des conservateurs du PP, Pablo Casado, exige la mise sous tutelle de la région catalane, comme cela avait été fait en novembre 2017. Le leader du parti libéral Ciudadanos, Albert Rivera, pousse le chef du gouvernement à appliquer la législation de «sécurité citoyenne» qui suppose la centralisation des corps des forces de l'ordre, police nationale, garde civile et Mossos d'Esquadra, la police autonome catalane. Le gouvernement n'écarte pas cette hypothèse, mais dit ne pas en voir la nécessité pour l'instant : «Tout dépendra de l'attitude de l'exécutif séparatiste à Barcelone», dit-on dans l'entourage de Sánchez. Quant à la formation populiste ultra Vox, elle estime que le verdict a été «trop favorable aux putschistes catalans», et en appelle à l'établissement de l'état d'exception. Une mesure appliquée pour la dernière fois en avril 1975, en pleine dictature franquiste.