Le pape François avait réclamé de l'audace. Il a été entendu. L'Eglise catholique vient d'ouvrir, dans les faits, la porte à l'ordination d'hommes mariés, remettant ainsi en cause la stricte règle du célibat pour les prêtres, qui date du XIe siècle ; mais sans tambour ni trompette, sur la pointe des pieds, même, tant le sujet risque d'être clivant au sein du catholicisme dans les mois à venir.
En conclusion de ses travaux qui avaient lieu à Rome du 6 octobre à dimanche, le synode sur l'Amazonie (une assemblée spéciale de cardinaux, d'évêques et d'experts consacrée à cette région) a inclus samedi dans son document final la proposition «d'ordonner des prêtres appropriés et reconnus de la communauté […] pouvant avoir une famille légitimement constituée et stable». Cette disposition comprend quelques conditions, en particulier que ces hommes soient déjà diacres (c'est-à-dire le grade juste en dessous de prêtre et ne pouvant célébrer la messe ni recevoir la confession) et qu'ils reçoivent une formation adéquate.
Boîte de Pandore
La balle est désormais dans le camp du pape. Pour François, il ne s'agit pas d'abolir la loi du célibat des prêtres ni d'autoriser ceux qui sont déjà ordonnés à se marier. Renforcé par la demande du synode sur l'Amazonie, il pourrait néanmoins assouplir la discipline en vigueur dans le catholicisme, la seule confession chrétienne à imposer le célibat à ses ministres du culte. Pour ce faire, il pourrait promulguer des dispenses s'appliquant dans un premier temps à l'Amazonie. Devant l'assemblée, François, juste après le vote, s'est engagé à formaliser ses réponses avant la fin de l'année. «Nous avons parlé de nouveaux ministères, de créativité en la matière et […] nous allons voir jusqu'où nous pouvons aller», a-t-il promis.
La mesure sera-t-elle strictement réservée aux «régions reculées de l'Amazonie», là où le manque de prêtres est particulièrement criant, comme le suggère le document du synode ? A moyen terme, d'autres demandes de dispense devraient arriver sur le bureau du pape. En Europe, plusieurs épiscopats envisagent l'option d'ordonner des prêtres mariés. C'est le cas en Allemagne, en Suisse et en Belgique. Très puissants financièrement, les évêques ont d'ores et déjà prévu d'en discuter dès 2020…
Pendant le synode, les opposants à la ligne d’ouverture ont tenté de mener une habile contre-attaque, arguant du fait que le synode sur l’Amazonie n’était pas habilité à discuter de la question de l’ordination d’hommes mariés car elle concerne l’Eglise catholique dans sa totalité. Ils mettaient en avant la nécessité de convoquer un synode qui y serait spécialement consacré. Mais il paraît peu vraisemblable que François retienne cette suggestion. Ce serait ouvrir la boîte de Pandore et donner l’occasion à ses opposants de mener bataille contre cette réforme, menée dans la discrétion mais historique.
Très attendues aussi sur la question des «ministères féminins», les propositions du synode sur l’Amazonie laissent une impression mitigée. Le document final ne demande pas, en tant que tel, l’instauration d’un diaconat féminin ; ce qui semblait pourtant peu ou prou se profiler au cours des discussions au Vatican. Pour le moment, il s’agit seulement de réactiver une commission spéciale qu’a déjà mise en place le pape François.
Pétition
Malgré la bonne volonté affichée du pape, il y a encore, de fait, moult réticences quant à la reconnaissance effective du rôle des femmes. Dominée par le pouvoir masculin, l’Eglise catholique est encore très loin de la parité. Seulement une trentaine de femmes ont pris part au synode sur l’Amazonie, à peine un sixième des participants. Avant l’ouverture de ce sommet, certains espéraient que les femmes puissent participer au vote sur le document final ; ce qui aurait été une première historique. Jusqu’à présent, lors de ce type de réunions à Rome, il n’y a que les «pères synodaux» (des évêques et des cardinaux au nombre de 184 pour ce synode sur l’Amazonie) à y prendre part.
Cet espoir-là ne s'est pas concrétisé. Vendredi, la veille du vote, une lettre a été transmise au pape, selon la religieuse Inès Azucena Zambrano Jara, l'une des participantes au synode. D'après les informations du site Religion Digital, la totalité des femmes qui assistaient à la rencontre de Rome ont signé la pétition. Qu'une telle initiative existe est déjà à saluer. Elle montre qu'un vent de fronde souffle durablement au Vatican parmi les religieuses qui ne veulent plus s'en laisser conter. Mais la pétition est restée lettre morte : les 184 «pères synodaux» ont été les seuls à se prononcer. Comme à son habitude avec les sujets qui l'embarrassent, le Vatican n'a fait publiquement aucun commentaire. Tout comme le pape, d'ailleurs…