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Libération
Récit

Côte-d’Ivoire : pour Guillaume Soro, la présidentielle en ligne de mire

L'ex-chef du gouvernement pense tenir sa chance pour le scrutin de l'automne 2020. Dans un grand hôtel parisien, il explique sa stratégie pour conquérir un pays dans lequel «il n’y a pas eu de réconciliation».
Le président de l'Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro, à Abidjan, en 2015. (Photo Sia Kambou. AFP)
publié le 27 octobre 2019 à 17h08

Pour conquérir le pouvoir, Guillaume Soro a désormais un «GPS» : C'est l'acronyme de son nouveau mouvement : «Génération Peuples Solidaires». «Ce n'est pas un parti», insiste l'ex-président de l'Assemblée nationale ivoirienne, qui a démissionné de son poste en février, et parie sur l'influence des réseaux sociaux pour gagner la bataille des présidentielles. En Côte-d'Ivoire, elles auront lieu en octobre 2020. C'est encore loin, mais cette élection à haut risque obsède déjà tous les esprits sur place.

Mercredi, l'éternel trublion de la vie politique ivoirienne avait donc convié la presse française à un dîner dans un grand hôtel parisien. Une façon de lancer, avec un an d'avance, son entrée en campagne. C'est à Valence en Espagne, dix jours plus tôt qu'il avait annoncé sa candidature ; c'est à Paris qu'il entre en scène. Ce choix de poser ses marques dans la vie politique interne, si loin de la première puissance économique de l'Afrique de l'Ouest, peut a priori surprendre. Mais voilà déjà plusieurs mois que cet ancien allié de l'actuel président, Alassane Ouattara, se trouve hors du pays. Il s'y sent peut-être menacé. Et même s'il annonce son retour «courant novembre», il rappelle aussi que treize de ses partisans «sont toujours en prison, sans être jugés». Et que, même bénéficiaire d'un passeport diplomatique, le renouvellement de son passeport ordinaire est toujours en suspens à l'ambassade à Paris.

«Ouattara a voulu m’éviter»

«Mon passeport est dans un tiroir, on ne veut pas me le rendre», accuse-t-il. Et puis il y a ce curieux épisode du 8 octobre à Barcelone, lorsque des policiers espagnols surgissent dans sa chambre d'hôtel en pleine nuit et affirment être mandatés par Interpol pour l'emmener. Il résiste, s'insurge. Au bout du compte les policiers repartent bredouilles, l'hôtel présentera ses excuses. «On voulait une photo de moi menotté pour mettre fin à ma carrière», affirme-t-il.

Soro, faut pas trop le chercher, comprend-on vite. Les estocades subies auraient plutôt tendance à renforcer son désir de descendre dans l'arène. «Ouattara a voulu m'éviter, il n'y a pas de meilleur moyen à m'inciter à rentrer en politique», lâche-t-il. En est-il jamais sorti ? Il a beau fustiger les ténors de la vie politique ivoirienne, «toujours les mêmes depuis trente ans», lui aussi est là depuis longtemps, actif dans ce paysage en décomposition. Il s'est fait notamment connaître comme syndicaliste étudiant, puis chef rebelle lorsque le conflit larvé entre les héritiers du père de l'indépendance, Félix Houphouët Boigny, décédé en 1993, a viré à la guerre ouverte. Il fut plusieurs fois ministre et même chef du gouvernement. Mais il s'est senti trahi par Ouattara, qui lui aurait longtemps fait miroiter une place de second, voire de dauphin tout en l'écartant à chaque fois. Cette fois, il pense tenir sa chance, à 47 ans, «l'âge où Obama est devenu président», rappelle-t-il. «Ouattara a fait ses deux mandats, c'est le passé», souligne-t-il, écartant délibérément les spéculations selon lesquelles l'actuel président serait tenté de se représenter malgré tout, en jouant sur l'entrée en vigueur d'une nouvelle Constitution en 2016 qui remettrait les compteurs à zéro.

Motifs d’inquiétude

Il est surtout conscient des désillusions de ses compatriotes, dix ans après la sanglante crise post-électorale qui s'était soldée par 3 000 morts avant d'imposer Ouattara au pouvoir. «Il n'y a pas eu de réconciliation», rappelle-t-il devant ses convives à Paris, qu'il invite à ne pas se fier aux apparences : «La Côte-d'Ivoire présente une jolie vitrine avec 7% de croissance annuelle. Mais dès qu'on gratte un peu, la situation est désastreuse. C'est une croissance appauvrissante qui ne profite pas aux Ivoiriens. La Banque Mondiale l'a écrit : 46% d'entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Et beaucoup d'investisseurs nous disent que la corruption est pire que sous Gbagbo.» Laurent Gbagbo aurait pu être un challenger au pouvoir actuel. Mais envoyé à la Cour pénale internationale par Ouattara, et bien qu'acquitté après sept ans d'emprisonnement, il reste bloqué par un jugement en appel qui l'empêchera de se présenter.

Reste Henri Konan Bédié, héritier à la tête du parti de Félix Houphouë Boigny, qui fut déjà président, et dont on ne sait toujours pas s'il se déclarera. Trop vieux, peu charismatique, difficile d'en faire un concurrent sérieux. «Il reste qui pour me battre à une élection ?» note Soro ce soir-là. Il y a quand même des motifs d'inquiétude : l'opposition, unanime, récuse la commission électorale dominée par le parti au pouvoir. Ce qui laisserait entrevoir une nouvelle controverse, dix ans après celle du duel Ouattara-Gbagbo. «La situation est très tendue. Il y a beaucoup d'intimidations, confirme un bon connaisseur de la scène politique depuis Abidjan. Soro présume un peu de ses forces. Mais il peut être un élément décisif, voire perturbateur, si la situation tourne mal.» Or un an avant le scrutin à Abidjan, nombreux sont ceux déjà convaincus que l'élection présidentielle sera tout sauf un long fleuve tranquille.