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Libération
Vu d'Allemagne

Elections en Thuringe : l’AfD fait recette chez les ostalgiques

Alors que ce Land d’ex-RDA s’apprête à renouveler son Parlement régional dimanche, le parti d’extrême droite continue son implantation à l’Est. Et ce malgré les provocations verbales du candidat tête de liste AfD en Thuringe, l’identitaire Björn Höcke.
Björn Höcke, premier candidat du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) aux élections régionales en Thuringe, lors d'un meeting à Gotha, dans l'est de l'Allemagne, le 23 octobre. (CHRISTOF STACHE/AFP)
publié le 27 octobre 2019 à 15h21

«Nazi ! Nazi !» A Camburg, bourg de 3 000 âmes niché dans la forêt thuringeoise, le candidat tête de liste de l’AfD pour les élections régionales, Björn Höcke, monte à la tribune sous les huées. C’est la première fois que le parti d’extrême droite organise un meeting dans ce village coquet à vingt kilomètres de Iéna, où coule la Saale ; une centaine d’opposants de gauche n’a pas voulu laisser passer ça. Ce sont des jeunes, des retraités, des parents avec enfants et poussettes. Regroupés dans un champ qui jouxte le meeting de l’AfD, encerclé par une police surnuméraire, ils agitent des banderoles, sifflent et mettent de la musique. A la tribune, Höcke les désigne du doigt, les appelant avec morgue «les blacks blocks».

Figure éminente de l’aile identitaire de l’AfD, Der Flügel, il représente le parti pour les élections régionales de dimanche, qui s’annoncent agitées. Selon les sondages, l’AfD devrait obtenir 25% des voix. Soit autant que les conservateurs de la CDU, que Höcke qualifie de «parti Vert et de gauche». Certes, la gauche de Die Linke, en ces terres d’ex-RDA, devrait rester en tête avec environ 29% des voix ; mais la percée de l’extrême droite est suffisante pour faire trembler la coalition au pouvoir, composée de Die Linke, du SPD et des Verts. Malgré tout, estime le politologue Karl-Rudolf Korte, de l’Institut de sciences politiques de Duisbourg-Essen, «la coalition rouge-rouge-verte actuelle devrait l’emporter». Même si certains sondages ne leur donnent pas la majorité. En outre, la CDU refuse toute alliance avec Die Linke, comme avec l’AfD. Une coalition SPD-Verts-Libéraux-CDU est-elle envisageable ? «Je n’y crois guère», répond Karl-Rudolf Korte. Tout va se jouer autour des électeurs indécis – un tiers selon les sondages.

«Nous n’avons plus confiance en Madame Merkel»

Dans toute l’Allemagne, l’AfD cristallise les discussions. Camburg ne fait pas exception : ce jour-là opposants de gauche, police et journalistes ont les yeux rivés sur la soixantaine de militants regroupés à côté du terrain de football du village. Ce sont principalement des hommes âgés, qui mangent placidement des petits pains à la saucisse dans une ambiance de fin de kermesse, avec du schlager en fond sonore. «C’est dommage qu’on soit si peu nombreux», soupire Angelika*, une retraitée venue avec son époux Hans-Peter, qui arbore un drapeau allemand et une casquette «Deutschland». Tous deux, non encartés, ont voté pour l’AfD aux législatives de 2017 et s’apprêtent à faire de même. Le couple fait partie des nombreux déçus de la CDU. «Nous n’avons plus confiance en Madame Merkel», dit Angelika. «Elle a beaucoup promis et n’a rien fait», renchérit Hans-Peter, sans citer d’exemple. Le couple explique avoir arrêté de s’informer via la télévision, la radio et les journaux car ils estiment que les médias mentent. Ils préfèrent puiser leurs informations sur Internet ; Hans-Peter a lu quelque part que l’auteur allemand de l’attentat antisémite et raciste de Halle, qui selon lui n’a aucun lien avec l’extrême droite, se serait converti à l’islam : «On a trouvé une liste de ses contacts avec des noms arabes», explique-t-ii.

Les orateurs s’enchaînent à la tribune de l’AfD. Wiebke Muhsal, députée au Parlement régional depuis 2014, parle de «Wilkommenskultur pour les entreprises», allusion à la Wilkommenskultur dont a fait preuve l’Allemagne en 2015 en accueillant près d’un million de réfugiés. Elle répète à l’envi que la Thuringe est son «Heimat», sa patrie, ainsi que celle de Goethe et de Schiller. Pendant son discours, l’un de ses enfants agite un drapeau de l’Allemagne, assis sur une chilienne où l’on peut lire «AfD : Wende 2.0». Die Wende, «le tournant», soit le nom que l’on donne à la transition démocratique entamée après la chute du Mur. Sur les nappes il est question, autre référence à l’automne 89, de «révolution pacifique».

«J’étais fière de ma RDA»

A l’approche des 30 ans de la chute du Mur, l’AfD semble plus que jamais jouer la carte de l’«ostalgie». Cette stratégie a prouvé son efficacité cet été dans d’autres élections régionales de Länder d’ex-RDA, comme la Saxe et le Brandebourg. Selon un récent sondage, à la question «La situation à la fin de la RDA était-elle supportable ?», 12% des personnes interrogées ont répondu oui, tous partis confondus. Chez les électeurs de Die Linke, ils sont 16% ; chez les électeurs AfD, 38.

Angelika, Thuringeoise de naissance, ne dit pas autre chose : «J’étais fière de ma RDA. A l’époque, on parlait de paix. Aujourd’hui, ni Madame Merkel ni les autres ne le font.» Comme beaucoup de gens de l’Est, le couple a le sentiment que «l’Ouest ne voulait pas de nous ; le Wende, ça n’a été bien qu’au début», estime Hans-Peter. Ils incriminent particulièrement la Treuhand, organisme public chargé de liquider le patrimoine industriel de la RDA entre 1990 et 1994, avant tout accusé d’avoir mis les «Ossies» au chômage en fermant leurs usines. «Treuhand, c’est le pire mot du monde !» s’indigne Hans-Peter.

Ici, les violences verbales de Björn Höcke ne semblent déranger personne. En 2017, il avait qualifié le Mémorial aux Juifs d’Europe assassinés, à Berlin, de «honte». Il a récemment menacé des journalistes de représailles après une interview jugée impertinente. Après l’attentat de Halle, il a été qualifié de «pyromane spirituel» par le ministre de l’Intérieur de Bavière. De tout cela, les militants AfD se fichent. «Il est menacé de mort, lui et sa famille. Est-ce normal ? » demande Angelika.

Descendue de sa tribune, la députée Wiebke Muhsal semble sereine. Son parti devrait faire une belle percée électorale dimanche. «Les gens disent que l’AfD est un parti citoyen tout à fait normal. C’est pour ça qu’ils lui donnent leur confiance.»

*Ils n’ont pas souhaité indiquer leur nom de famille.