Le 16 juillet dernier, Martin Selmayr, le tout-puissant secrétaire général de la Commission européenne, annonçait à Politico Europe, un site germano-américain, qu'il «démissionnait» de ses fonctions et envisageait de partir en Autriche. Une porte-parole de l'exécutif européen confirmait aussitôt cette «démission». Etait-ce la fin de la carrière météorique (il est passé de la base au sommet en dix ans…) de cet homme ambitieux dont le pas de trop aura été son autonomination illégale, en février 2018, au poste de secrétaire général (une affaire révélée par Libération) ? En réalité, absolument pas : l'homme est toujours là et il peaufine la mise en place de ses réseaux.
En juillet, Selmayr a compris qu'il n'avait aucune chance de rester à son poste, son départ ayant été demandé par les chefs d'Etat et de gouvernement lassés par sa présence de plus en plus envahissante. Soumis à une forte pression, il a donc préféré prendre les devants pour préparer l'avenir. Mais contrairement à ce qu'il a annoncé, il n'a pas formellement «démissionné», ce qui aurait signifié qu'il cessait d'appartenir à la fonction publique. Le collège des commissaires, le 24 juillet, l'a simplement «muté dans l'intérêt du service» à Vienne, où il y prendra la tête de la représentation permanente de la Commission européenne le 1er novembre. Un poste sous-dimensionné pour le personnage, mais qui lui permettra de conserver son confortable salaire (pas loin de 20 000 euros par mois) en ne faisant pas grand-chose. En attendant, il reste affecté auprès de Juncker comme «conseiller hors classe»… Une nouvelle fois, donc, ce ne sont pas les commissaires qui ont décidé quoi que ce soit, comme depuis le début de cette affaire, mais Selmayr lui-même…
Contrôle à distance
Mais pour que ces décisions soient juridiquement valables, le procès-verbal de la réunion du 24 juillet aurait dû être formellement approuvé par le collège des commissaires à la rentrée. Or, aujourd’hui, ce n’est toujours pas le cas, alors même que tous les PV de septembre et d’octobre l’ont été. Autrement dit, la mutation de Selmayr n’existe pas : il est donc toujours secrétaire général. Quel est l’intérêt de cette étrange manœuvre ? Lui conserver son influence – puisqu’il est toujours de jure en fonction et pourrait le redevenir si le PV du 24 juillet est modifié – afin qu’il puisse placer ses affidés qui attendent leur récompense et qui lui assureront un contrôle à distance de l’institution.
A lire aussiL'heure des comptes pour la Commission Juncker
Selmayr manœuvre dans l’ombre pour les promouvoir les uns après les autres, Ursula von der Leyen, la présidente élue, ayant bloqué en juillet le paquet de nominations qu’il avait préparé. Et, cela, il sait faire. Ainsi, la Bulgare Jivka Petrovka, qu’il a placée dans l’équipe de transition de von der Leyen, a été nommée «directrice» le 24 juillet et la présidente a décidé la semaine dernière de la garder dans son cabinet définitif en la chargeant de… l’administration. Ce qui est étrange, puisque cela assure un droit de regard à Selmayr. L’ancien porte-parole de Barroso, le Belge Koen Doens, l’un de ses fidèles, a lui aussi été promu en même temps directeur général chargé du développement (une carrière éclair, puisqu’il n’est devenu fonctionnaire qu’en 2014). Et c’est loin d’être terminé. La camarilla Selmayr n’a pas fini de sévir.