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Libération
Analyse

Sans dirigeant, quel avenir pour l’Etat islamique ?

Si elle a perdu son «califat» cette année, et désormais son chef, l’organisation jihadiste continue de mobiliser des cellules de partisans locaux et des filiales à l’étranger.
Près du village de Barisha (Syrie) où les forces américaines ont mené l'action contre Abou Bakr Al-Baghdadi. (Photo Ghaith Alsayed. )
publié le 27 octobre 2019 à 21h06

La mort d’Oussama ben Laden en mai 2011 au Pakistan l’a montré : les organisations jihadistes internationales survivent à la mort de leur chef. Parce que l’Etat islamique (EI) avait anticipé l’effondrement de son «califat» entre Syrie et Irak, parce qu’il s’est disséminé dans le monde au travers de filiales implantées de l’Asie à l’Afrique et parce que son modèle repose aussi sur «l’inspiration» qu’il suscite chez ses soutiens pour qu’ils frappent où et quand ils le peuvent, même seuls et armés d’un couteau, le groupe terroriste ne disparaîtra pas avec la mort de son dirigeant, Abou Bakr al-Baghdadi.

Trop d’ennemis

Le chef jihadiste avait anticipé les mutations de son organisation. L’Etat islamique, surnommé Dawla («l’Etat») par ses défenseurs et Daech par ses ennemis, avait réussi à créer un proto-Etat, à cheval sur l’est de la Syrie et le nord de l’Irak, de la taille du Royaume-Uni. Un territoire aux frontières mouvantes que ses hommes contrôlaient dans ses moindres aspects, jusque dans la levée des impôts et les programmes scolaires. Mais l’EI était aussi une organisation capable de frapper à l’extérieur, jusqu’en Europe, en envoyant des combattants pour commettre des attentats qu’elle avait conçus. Al-Qaeda n’a jamais été aussi loin.

A partir de 2016, et plus encore en 2017, le modèle ne tenait plus. L’Etat islamique avait trop d’ennemis : la coalition internationale qui bombarde et déploie des forces spéciales, l’armée irakienne, les combattants kurdes dans le Nord-Est syrien. L’organisation enchaîne les défaites et perd Raqqa et Mossoul, deux villes symboles de sa puissance passée. A chaque fois, Al-Baghdadi, et la plupart de ses adjoints, s’échappent. Mais ils laissent derrière eux des cellules de partisans locaux. Ce sont elles qui se mobilisent depuis et frappent en Irak et en Syrie.

«En Irak , l'EI tente de bloquer un retour à la normale et la reconstruction dans l'espoir que la population locale finisse par blâmer les autorités irakiennes. Nous anticipons une approche similaire en Syrie. L'Etat islamique a toujours beaucoup de soutiens et de combattants, et cherche à créer les conditions de son retour dans certaines régions de son ancien "califat", ce que l'on ne peut exclure», note un rapport transmis au Conseil de sécurité de l'ONU cet été. L'organisation dispose par ailleurs toujours d'environ 300 millions de dollars (270 millions d'euros).

«Venger le Sham»

Alors que son califat n'en finissait plus de s'étioler, Al-Baghdadi a commencé à miser de plus en plus sur les branches de l'organisation à l'étranger. En avril, dans sa seconde et dernière vidéo, il apparaît assis par terre, feuilletant des documents où l'on peut lire «province de Somalie» et «province de Turquie». Il vante «92 opérations dans 8 pays pour venger le Sham (l'Irak et la Syrie)». Al-Baghdadi ne contrôle alors plus de territoires. Appuyées par les frappes aériennes et les tirs d'artillerie de la coalition, les Forces démocratiques syriennes, une alliance kurdo-arabe, viennent de chasser les jihadistes de leur dernier réduit d'Al-Baghouz, une bourgade du Sud-Est syrien, entre l'Euphrate et la frontière irakienne. Le califat est réduit à néant. Comme lors des précédentes batailles, Al-Baghdadi s'est enfui. A l'époque, les femmes de jihadistes et leurs enfants qui fuyaient les combats racontaient comme il était possible de rejoindre la province d'Idlib, à condition de pouvoir payer des passeurs plusieurs milliers de dollars.

Les filiales étrangères de l'Etat islamique n'ont pas disparu. Elles gagnent en puissance en Afrique de l'Ouest où des combattants frappent désormais au Bénin - deux Français y avaient été kidnappés en mai - et au Burkina Faso. Daech est également actif en Libye, au Niger, au Nigeria et en république démocratique du Congo. La branche la plus puissante reste celle dite du «Khorassan», en Afghanistan. Daech y compte entre 2 500 et 4 000 hommes, y compris des étrangers. Ils se concentrent dans les provinces de Nangarhar et de Kunar, qui bordent la frontière pakistanaise. Ils frappent régulièrement, y compris à Kaboul, et visent souvent la minorité chiite. Ils tentent aussi d'attirer plus largement des candidats au jihad et d'organiser des attaques massives, loin de l'Afghanistan, tels les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis. «Les pays membres s'attendent à ce que l'accalmie actuelle ne soit que temporaire, indique le rapport de l'ONU. L'Etat islamique relancera ses opérations extérieures dès que les conditions le lui permettront.»