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Témoignages

Algérie, Catalogne, Chili, Hongkong... «On souffre des mêmes douleurs, à des degrés différents»

A l’aéroport de Barcelone, le 14 octobre.  (Photo Bernat Armangue. AP)
publié le 28 octobre 2019 à 21h31

De nombreux pays sont depuis des semaines le théâtre de larges manifestations. Trouvant pour beaucoup leur origine dans la crise de 2008, leurs revendications et leurs slogans résonnent souvent d’une capitale à l’autre.

Catalogne : «Une protestation massive peut faire tomber un gouvernement»

Marc, 27 ans, informaticien

«Je suis avec beaucoup d’intérêt ce qui se passe au Chili. Si je suis indépendantiste, ce n’est pas juste pour quitter l’Espagne, qui nous traite de façon antidémocratique. C’est surtout pour créer un Etat plus juste, un Etat-providence qui assure des services publics dignes. Au Chili, tout semblait aller bien alors que, depuis la dictature de Pinochet, les gouvernants ont appliqué des méthodes ultralibérales et reaganiennes. Sur Facebook et Instagram, je vois ce que racontent les Chiliens : que les retraites et les salaires sont trop bas, que les services de santé et d’éducation sont dans un état lamentable. Je constate qu’une protestation massive peut faire tomber un gouvernement. C’est ce que nous voudrions faire ici !»

Elisenda, 25 ans, travailleuse sociale

«Je passe un temps fou sur Twitter à suivre ce qui se trame à Hongkong. Bien sûr, je ne vais pas mettre sur le même plan l’Etat chinois et l’Etat espagnol. Mais il y a tout de même des similitudes, et surtout une attitude profondément autoritariste, un refus d’accepter la volonté majoritaire d’un peuple. Nous, les séparatistes, sommes dos au mur, avec neuf de nos leaders en prison et sept autres en exil. Vu qu’on risque tous le même sort, on n’a pas d’autre choix que de suivre la tactique des Anonymous, comme le font les manifestants à Hongkong. Nous avons des mouvements de désobéissance civile, Tsunami Democràtic par exemple, qui a bloqué l’aéroport de Barcelone la semaine dernière. Madrid a fermé leur site web, mais ils ont réussi à en rouvrir un depuis l’étranger. Notre lutte ne cessera pas, j’espère qu’à Hongkong non plus !»

Recueilli par François Musseau Correspondant à Madrid

Algérie : «On souffre des mêmes douleurs, à des degrés différents»

Souad, 26 ans, étudiante en art

«J'ai eu l'occasion de faire un long séjour en Argentine et j'ai pu me rendre au Chili. J'ai beaucoup d'admiration pour cette région, son histoire politique et culturelle. J'ai vu que vendredi, le pays a connu la plus grande mobilisation de son histoire, populaire et festive, célébrant l'artiste Víctor Jara, qui a été assassiné par la dictature de Pinochet dans les années 70. Le même jour à Beyrouth, on entonnait un chant de protestation en libanais sur la Symphonie n°9 de Beethoven. Ça a provoqué en moi un écho car c'était aussi un jour de mobilisation à Alger. Ce qui me touche, c'est que dans ces pays, les gens essaient de rester pacifiques malgré la violence du pouvoir, comme ici en Algérie. C'est une forme de mobilisation transnationale qui prouve que ce que type de régime est obsolète.»

Mohammed, 30 ans, chanteur de rue

«Partout, le pouvoir vieillit. C'est l'occasion pour notre génération de faire valoir ses convictions. En Algérie, c'est devenu notre vie quotidienne. Et c'est bon signe de voir que cela se propage un peu partout dans le monde. Aujourd'hui [vendredi], c'est le deuxième jour de mobilisation pour les Irakiens, le neuvième jour pour les Libanais. Ça me soulage de voir des vidéos Facebook ou YouTube tournées à l'autre bout du monde, qui montrent la révolte des peuples abusés par la mafia politique. Et tout cela de manière pacifique. On souffre tous des mêmes douleurs, à des degrés différents, on peut sentir une connexion entre nous. On va probablement s'entraider pour battre la dictature là où elle est.»

Recueilli par Amaria Benamara Correspondante à Alger

Chili : «Le peuple se soulève seul car la classe politique n’est plus crédible»

Nancy, 50 ans, formatrice

«Partout à travers le monde, pas seulement au Chili, les hommes politiques n’ont plus de crédibilité. Ici, nous ne suivons aucun représentant politique, ni de gauche, ni du centre, ni de droite. Nous pouvons nous organiser grâce aux réseaux sociaux, et finalement, le peuple se soulève seul, car la classe politique n’est plus crédible. Voilà le point commun entre ces différents mouvements qui naissent à travers le monde, à Hongkong, au Liban… Car dans tous ces pays, ceux qui détiennent le pouvoir ont montré qu’ils sont aussi ineptes que corrompus.»

Diego, 34 ans, chauffeur de VTC

«Ces mouvements ont en commun le fait de dénoncer le fossé qui existe entre les riches et les pauvres, les inégalités qui existent partout dans le monde, mais aussi la corruption. Les hommes politiques devraient travailler pour l’intérêt de leurs peuples. Mais quand on se rend compte que le candidat qu’on a élu a reçu de l’argent pour voter une loi qui est en notre défaveur, on comprend que ces gens aiment l’argent plus qu’ils n’aiment leur peuple. C’est ce qui détruit nos pays et provoque cette colère. Sous la pression de la rue, ils se mettent à voter des lois qu’exige le peuple. Pourquoi est-ce possible maintenant, alors qu’avant on nous disait que c’était impossible ? Est-ce qu’il faut en arriver là, au Chili comme dans les autres pays qui se soulèvent, si on veut obtenir de meilleures conditions de vie ?»

Recueilli par Justine Fontaine Correspondante à Santiago

Hongkong : «On est heureux que nos techniques de manif soient réutilisées»

Yiu, 35 ans, communicant

«La lutte pour la liberté, la justice et la démocratie est universelle. Donc on est solidaires de ces mouvements qu’on cherche à réprimer, même si les contextes locaux et les revendications sont très différents. On a l’impression qu’il y a un ras-le-bol général contre une classe politique peu à l’écoute. Même si la démocratie n’est pas un système parfait, plus de représentativité permettrait aux laissés pour compte d’avoir voix au chapitre. Et on est heureux que les techniques de manif qu’on a développées, celles contre les gaz lacrymogènes par exemple, soient utiles à ceux qui combattent pour leurs droits à travers le monde. On a reçu des messages de remerciement du Chili ! Et quand les Catalans sont allés bloquer l’aéroport de Barcelone, ils disaient qu’ils «faisaient une Hongkong» ! Des contacts existent sur les réseaux sociaux, on s’encourage et on s’échange des astuces.»

Catherine, 24 ans

«La seule chose en commun entre ces protestations est que les gouvernements restent sourds - même en Espagne et au Chili qui sont pourtant des démocraties - et recourent à la violence pour réprimer des protestations pacifistes, ce qui empire la situation. Le peuple a un pouvoir et doit rester vigilant pour le conserver. Tous ces pays ont une longue histoire de protestations qui ont fini en bains de sang. A Hongkong, nous venons d’entrer dans une nouvelle ère, les gens ont compris que les manifs pacifistes contre un régime autoritaire ne fonctionnent pas. Ce qui a surpris la presse internationale, c’est la faculté de s’organiser en une nouvelle forme de protestation décentralisée, avec messageries et forum cryptés.»

Recueilli par Anne-Sophie Labadie Correspondante à Hongkong