«Je ne savais pas qu'il était nazi», avait lâché un peu éberluée Eva, trentenaire berlinoise, en sortant d'une exposition consacrée au peintre Emil Nolde au musée Hamburger Bahnhof, à Berlin. Son titre ne laissait en effet guère de place au doute : «Emil Nolde, une légende allemande : l'artiste au sein du national-socialisme».
Terminée en septembre, l'exposition a suscité de vives discussions en Allemagne sur la relation qu'entretenait ce peintre, mort en 1956, avec le régime nazi. Polémiques ravivées avec la récente sortie au cinéma d'une adaptation du roman la Leçon d'allemand, de Siegfried Lenz. Paru en 1968, ce classique outre-Rhin met en scène un peintre calqué sur Nolde et fait de lui, au mépris de la vérité des faits, un artiste persécuté par le régime. Désormais, cette histoire ne passe plus. «Nolde était raciste : pourquoi l'adaptation de la Leçon d'allemand pose problème», écrivait récemment le Südkurier.
Bande-annonce du film Deutschstunde, sorti le 3 octobre en Allemagne.
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Depuis quelques mois, l'Allemagne semble s'être dessillé les yeux. Le peintre autrefois révéré, dont on trouvait des reproductions partout, des cabinets des gynécologues aux salles de classe, est désormais critiqué. L'exposition berlinoise susmentionnée y a largement contribué. D'autant qu'au même moment Angela Merkel, autrefois grande admiratrice du peintre, a fait ôter deux de ses toiles de la Chancellerie. «Le regard sur Nolde a changé. L'actualité de l'exposition berlinoise et la décision d'Angela Merkel ont joué un rôle», dit Rupert Keim. A la tête d'une maison de ventes aux enchères à Munich, Karl & Faber, il a mis en vente deux aquarelles du peintre cet été, qui n'ont pas trouvé preneur.
Légende d’un artiste persécuté
Ce n'était pourtant un secret pour personne que Nolde était nazi. Adhérent au parti dès 1934, antisémite, il a dénoncé son collègue juif Max Pechstein à Goebbels et adapté ses œuvres aux critères esthétiques du IIIe Reich : entre 1933 et 1945, plus de peintures religieuses ou de thématiques exotiques, mais des paysages nordiques. Ce qui fait écrire au directeur du Kunstpalast de Düsseldorf, Felix Krämer, par ailleurs curateur d'une exposition critique sur Nolde en 2014 à Francfort : «Même une nature morte représentant une fleur n'est pas exempte d'idéologie.»
Mais parce qu’il fut également rejeté par le régime et que ses œuvres ont fait partie, aux côtés de celles de Kirchner ou Chagall, de l’exposition de «l’art dégénéré» à Munich en 1937, Nolde et ses héritiers ont entretenu la légende d’un artiste persécuté. D’autant qu’il fut exonéré par les autorités d’épuration. Pendant des années, Nolde est parvenu à se faire la victime d’un régime dont il a toujours cherché les faveurs - le roman de Lenz ayant contribué à ce storytelling.
Ce récit-là est désormais en train de s'effacer. La décision de la chancelière y est pour beaucoup. Felix Krämer la salue : «Peut-on imaginer des chefs d'Etat pris en photo là où sont exposées les toiles d'un raciste ? Le bureau d'un leader politique n'est pas un musée - où Nolde a encore toute sa place, avec une approche critique de son œuvre.» Moins saluée est la décision de la chancelière de ne pas remplacer ces toiles. C'est ainsi que les Nolde ont été retirés de la chancellerie… Pour laisser place à un mur vide.