«Je me trouve dans une impasse», a admis, solennel, Saad Hariri lors d'une courte allocution télévisée au cours de laquelle il a annoncé sa démission mardi après-midi. Après treize jours de manifestations inédites dans l'histoire du Liban, le Premier ministre a fini par céder à la principale demande des contestataires : le départ en bloc d'une classe politique jugée incompétente et corrompue. «Pour arrêter la dégradation de la situation, j'ai essayé de trouver une sortie de crise pour calmer la colère des gens», a déclaré le chef du gouvernement.
Liesse
Le pays est paralysé depuis deux semaines. Ecoles, banques et de nombreux commerces sont fermés et de nombreuses routes bloquées par des contestataires, dont beaucoup de jeunes, plus déterminés que jamais à en finir avec un système politique défaillant, hérité de la guerre civile (1975-1990). La position du fils du milliardaire assassiné Rafic Hariri n’était plus tenable.
«Il a concédé un premier point aux manifestants», analyse Karim el-Mufti, un politologue libanais. Dès les premiers jours de contestation, ses alliés au gouvernement l'avaient intimé de quitter son poste. Le leader druze Walid Joumblatt l'avait exhorté à démissionner. Le 19 octobre, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, avait annoncé le départ de ses quatre ministres. Ses adversaires, le Hezbollah (pro-iranien) et son allié chrétien le CPL, la formation du président de la République, Michel Aoun, s'opposaient fermement à un départ du leader sunnite, non pas parce qu'ils le soutiennent mais par crainte que cette démission n'ouvre la porte à une remise en cause totale du compromis politique qui prévaut depuis deux ans. «Le fait de démissionner contre les ordres et les conseils du président Aoun et du Hebzollah permet aussi à Saad Hariri de se laver les mains de la crise actuelle», dit El-Mufti.
Dans la rue, la nouvelle a été accueillie dans la liesse. A Saïda, le fief de Hariri, des manifestants ont célébré la nouvelle avec des pas de dabké, danse traditionnelle levantine. A Beyrouth, des feux d'artifice ont été tirés. Sur un barrage dressé par les manifestants au milieu de la rocade, un des axes centraux de la capitale, Manal, 34 ans, laisse éclater sa joie : «On est fiers que l'un d'entre eux soit tombé, mais on attend que tous démissionnent», lance la jeune femme, debout sur un canapé installé au milieu de la route par les manifestants. «C'est un premier pas vers la révolution, mais il est encore très mesuré selon moi, estime pour sa part Ziad, 48 ans. Le pays va au-devant de beaucoup de turbulences.» Ce retrait ouvre une période d'incertitude pour le pays.
Spectre
Avant l’annonce de Hariri, un nouvel affrontement a eu lieu entre partisans du Hezbollah et manifestants pacifiques. Munis parfois de bâtons et jetant des pierres en direction des manifestants, les soutiens de la milice ont mis à sac plusieurs lieux de rassemblement. Des tentes installées sur la grande place des Martyrs, dans le centre-ville, cœur névralgique de la contestation, ont été démolies.
Après ces violences, le spectre d’une réédition des incidents de 2008 plane sur le pays. Cette année-là, le Liban avait failli retomber dans la guerre civile. Des combattants armés du Hezbollah avaient pris le contrôle de plusieurs quartiers de la ville avant que l’armée ne parvienne à circonscrire les hostilités.
Le Liban «traverse une crise très grave» a commenté Jean-Yves Le Drian, après l'annonce de la démission de Saad Hariri. Le ministre français des Affaires étrangères craint notamment un regain d'influence du Hezbollah après la démission du Premier ministre. Une situation qui pourrait avoir des répercussions dans toute la région. «Le pays accueille 1 million et demi de réfugiés syriens sur son territoire et toute crise risque de créer de nombreux déplacements de population, analyse Karim el-Mufti. Ce qui explique en partie pourquoi la communauté internationale soutient la stabilité du pouvoir actuel, de manière un peu exagérée.»