Les informations demeurent parcellaires, les récits incomplets et les coupables introuvables. Mais une chose est sûre : en l’espace de quelques heures, lundi, une famille américano-mexicaine a été décimée par une attaque brutale et insensée dans le nord du Mexique. Un acte de violence en apparence gratuit, et particulièrement choquant, même dans un pays tristement habitué à la cruauté des cartels de la drogue.
Lundi matin, trois mères, chacune au volant d’une voiture, accompagnées de 14 enfants, tous membres de la famille LeBarón, relativement connue dans la région, quittent la petite communauté mormone de la Mora, dans les montagnes de l’Etat du Sonora, à une centaine de kilomètres au sud de la frontière avec les Etats-Unis.
Deux d’entre elles partent rendre visite à des proches dans l’Etat voisin de Chihuahua, la troisième se rend à l’aéroport de Phoenix (Arizona), à plus de sept heures de route, pour y récupérer son mari. Aucune d’entre elles n’arrivera à destination. Leurs véhicules sont violemment attaqués par des hommes armés, sans doute membres d’un des cartels qui sévit dans la zone. Les trois mères de famille sont mortes, ainsi que six de leurs enfants. Le plus vieux était âgé de 12 ans, les plus jeunes – des jumeaux – d’à peine 8 mois.
Voiture carbonisée
Selon Julian LeBarón, un cousin des trois femmes, interrogé par plusieurs médias dont le New York Times, le SUV à bord duquel se trouvaient Rhonita Maria LeBarón et quatre de ses sept enfants – un garçon de 12 ans, une fille de 10 ans et les jumeaux – est le premier à être tombé dans l'embuscade. Les assaillants «ont tiré sur Rhonita et mis le feu à sa voiture», tuant tous les occupants. Sur les réseaux sociaux, plusieurs membres de la famille ont publié une vidéo montrant, selon eux, la carcasse fumante et criblée de balles du véhicule. Les corps ont été carbonisés.
Une quinzaine de kilomètres plus loin, presque «simultanément» selon Alex LeBarón, un autre membre de la famille cité par CNN, les deux autres véhicules ont été attaquées par des membres «du même cartel». Les deux conductrices, Christina Marie Langford Johnson, 31 ans, et Dawna Ray Langford, 43 ans, ainsi que deux de ses enfants, âgés de 2 et 11 ans, ont été tués par balles. Sept autres mineurs, dont cinq blessés, ont réussi à prendre la fuite et à se cacher dans la forêt.
D’après le récit publié sur les réseaux sociaux par une membre de la famille, l’un des survivants, Devin, un adolescent de 13 ans, a alors marché une vingtaine de kilomètres jusqu’à la Mora pour aller chercher de l’aide, après avoir caché ses frères et sœurs sous des branchages. Il est arrivé sur place vers 17h30, près de six heures après l’embuscade. Les membres de la communauté sont alors partis à la recherche des survivants, retrouvés deux heures plus tard. Les cinq enfants blessés, dont un garçon de 8 ans touché à la mâchoire et un nourrisson de 7 mois atteint à la poitrine, ont été transportés dans la soirée à la frontière américaine, à bord d’un hélicoptère de l’armée mexicaine, avant d’être hospitalisés aux Etats-Unis.
Culture de luzerne ou de noix de pécan
Mardi soir, les motivations des auteurs de ce massacre, survenu dans une zone à risque où sévissent narcotrafiquants et gangs armés, restaient floues. Les victimes ont-elles été ciblées par erreur, confondues avec des rivaux ? Ou étaient, au contraire, visées spécifiquement ? La famille LeBarón, en effet, n'est pas inconnue. Il y a une dizaine d'années, l'un de ses membres, Benjamin LeBarón, avait fondé un collectif anticriminalité baptisé SOS Chihuahua, avant d'être enlevé et assassiné par un cartel avec son beau-frère, en 2009. D'autres membres de la famille LeBarón, accusés d'avoir mis en place des barrages illégaux et d'épuiser les ressources en eau de la région pour ses cultures de noyers, entretiennent par ailleurs des relations tendues, depuis des années, avec des agriculteurs locaux.
La présence de mormons américains au Mexique remonte à la fin du XIXe siècle quand certains membres fondamentalistes de la communauté religieuse ont fui les Etats-Unis pour échapper à la répression naissante de la polygamie. Fondée dans les années 40, la communauté affectée par l'attaque de lundi vit en partie de la culture de luzerne ou de noix de pécan. La plupart de ses membres disposent de la double nationalité américaine et mexicaine. Et beaucoup d'hommes travaillent une partie de l'année aux Etats-Unis, notamment dans les installations pétrolières du Dakota du Nord. C'était le cas du mari du Rhonita Maria LeBarón, la première mère assassinée.
Record d’homicides en 2019
Le massacre relance une nouvelle fois le débat sur les violences qui gangrènent le Mexique et les difficultés du Président, López Obrador, et de son gouvernement à les enrayer. Dernier exemple en date de cette impuissance : mi-octobre à Culiacán, fief du cartel de Sinaloa, un fils du célèbre parrain El Chapo avait été arrêté puis relâché par les autorités, dépassées par la puissance de feu des narcotrafiquants. En 2018, l'Inegi (Institut national de géographie et statistiques) a recensé 36 685 homicides au Mexique. Un sinistre record qui devrait être largement battu cette année, car selon les chiffres préliminaires du ministère de la Sécurité publique, près de 39 000 assassinats ont été perpétrés dans le pays entre janvier et septembre.
Mardi, le président mexicain a indiqué qu'il allait discuter avec son homologue américain d'une coopération avec les Etats-Unis contre les narcotrafiquants. Sur Twitter, Donald Trump s'est quant à lui dit prêt à apporter une aide à Mexico pour «éliminer (les cartels) de la surface de la Terre». «Si le Mexique a besoin ou demande de l'aide pour se débarrasser de ces monstres, les Etats-Unis sont prêts, volontaires et capables de s'engager pour faire le boulot rapidement et avec efficacité», a assuré le locataire de la Maison Blanche.