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Impeachment J1

Destitution de Trump : retour sur les premières auditions publiques

L'assaut du Capitole américain du 6 janvier 2021dossier
Les deux témoignages entendus par les diplomates auditionnés mercredi pendant cinq heures ont un peu plus révélé l'extrême polarisation de la classe politique américaine.
Aperçu des premières auditions publiques et télévisées dans le cadre de l'enquête en vue d'une éventuelle destitution de Donald Trump dans l'affaire ukrainienne. (ANDREW CABALLERO-REYNOLDS/AFP)
publié le 14 novembre 2019 à 7h24

Les premières auditions publiques et télévisées, dans le cadre de l'enquête en vue d'une éventuelle destitution de Donald Trump dans l'affaire ukrainienne, ont duré plus de cinq heures ce mercredi. Mais cette procédure rare – à laquelle n'ont été soumises que deux administrations dans l'histoire moderne des Etats-Unis, celles du républicain Richard Nixon et du démocrate Bill Clinton – a souligné l'extrême polarisation de la classe politique américaine. «S'il ne s'agit pas d'une conduite digne d'une procédure en destitution, qu'est-ce qui peut l'être ?», s'est interrogé le démocrate Adam Schiff, président de la commission des Renseignements de la Chambre des représentants, après avoir énuméré les éléments rassemblés contre Trump depuis le début de l'enquête. «C'est une campagne de dénigrement médiatique savamment orchestrée», a pour sa part dénoncé son pendant républicain, Devin Nunes.

Deux diplomates au pedigree impeccable, ayant travaillé pour des administrations républicaines et démocrates, étaient interrogés par la Chambre des représentants : William Taylor, ambassadeur américain de facto à Kiev, et George Kent, haut responsable du département d’Etat spécialiste de l’Ukraine.

«Concocter des enquêtes politiques»

Les auditions doivent servir, espèrent les démocrates, majoritaires à la Chambre, à convaincre l'opinion publique en donnant de la chair à leurs accusations. Ils soupçonnent Donald Trump d'avoir abusé de ses pouvoirs en demandant à son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky d'enquêter sur Joe Biden, bien placé pour l'affronter en novembre 2020 à la présidentielle. Au cours d'une conversation téléphonique le 25 juillet, Trump a demandé à Zelensky de «se pencher» sur l'ancien vice-président d'Obama et son fils, Hunter, alors employé par une compagnie gazière ukrainienne.

Selon de nombreux éléments et témoignages recueillis depuis l'ouverture de l'enquête fin septembre, l'avocat personnel de Trump, Rudy Giuliani, aurait mis en place une diplomatie parallèle pour faire pression sur les Ukrainiens. Dans son témoignage mercredi, William Taylor a évoqué ce canal diplomatique «irrégulier» avec l'Ukraine. George Kent est allé lui aussi dans ce sens : «A la mi-août, il m'est apparu évident que les efforts de Giuliani pour concocter des enquêtes politiques contaminaient désormais» les relations entre Kiev et Washington, a-t-il affirmé.

«Stratagème répugnant»

Comme levier, le président Trump aurait suspendu une aide militaire de près de 400 millions de dollars destinée à Kiev, et mis dans la balance une possible invitation à la Maison Blanche de Zelensky, demandant en échange de l'aide pour sa réélection en 2020. «J'ai écrit que suspendre l'aide sécuritaire en échange d'un coup de main pour une campagne politique aux Etats-Unis était dingue, et je le crois toujours aujourd'hui», a affirmé William Taylor dans ses propos introductifs.

«Ceci n'est pas arrivé», s'est agacé l'élu républicain Jim Jordan, en soulignant que l'aide avait été finalement débloquée en septembre, sans que Kiev n'annonce d'enquête sur les Biden. C'est la ligne de défense principale des républicains : Trump n'a pas exercé de chantage, puisque l'enveloppe a été versée et qu'il n'y a pas eu de contrepartie. «Un stratagème […] n'en devient pas moins répugnant parce qu'il a été découvert avant d'être totalement mené à bout», a rétorqué Adam Schiff. L'aide a en effet été versée après la découverte, par la Maison Banche, de l'existence d'un signalement rédigé par un lanceur d'alerte suite à la conversation téléphonique de juillet entre les présidents.

«Propos de troisième main»

L'élément nouveau des déclarations de William Taylor, déjà auditionné mi-octobre à huis clos, met Donald Trump encore un peu plus au centre des manœuvres. Le diplomate affirme qu'un membre de son équipe a entendu Trump, au téléphone avec l'ambassadeur des Etats-Unis auprès de l'Union européenne Gordon Sondland, s'enquérir des «investigations» en Ukraine. Sondland aurait ensuite affirmé que le président américain «s'intéressait» davantage à l'ouverture d'une enquête sur Biden en Ukraine qu'à la situation dans ce pays – la guerre contre les forces séparatistes prorusses y a fait 13 000 morts depuis 2014.

«Je ne sais rien là-dessus», a affirmé Trump, interrogé plus tard sur cette conversation avec Sondland. «Première fois que j'entends cela», a-t-il ajouté, jugeant que les témoins n'apportaient que des informations de «seconde main». Tout au long de la journée, les élus républicains ont récité cette ligne de défense. Reprochant aux témoins de rapporter des propos de deuxième, voire «troisième» main. «Les républicains sont bien plus appliqués à persuader Trump de leur loyauté qu'à convaincre le public de l'innocence de Trump», a tweeté Dan Pfeiffer, un ancien conseiller de Barack Obama.

«Je suis trop occupé pour regarder»

Il a beau avoir retweeté des messages de soutien sur les auditions toute la journée, Donald Trump, qui recevait le président turc Erdogan à la Maison Blanche, a affirmé qu'il était «trop occupé pour regarder» les auditions. Dans le même temps, la campagne pour sa réélection en 2020 a envoyé mails et SMS pour dénoncer la procédure, une «mascarade totale», et appelé ses soutiens à envoyer de l'argent. Le directeur de campagne de Trump, Brad Parscale, avait affirmé avoir récolté «13 millions de dollars dans les trente-six heures» qui avaient suivi l'annonce de l'ouverture de l'enquête pour impeachment, fin septembre.

La prochaine audition publique aura lieu vendredi, avec l'ancienne ambassadrice américaine en Ukraine, Marie Yovanovitch. Les démocrates veulent mener leur enquête sans «délai». Leur majorité à la Chambre laisse peu de doutes sur l'impeachment du président. Il est en revanche peu probable que Trump soit ensuite destitué au Sénat, contrôlé par les républicains.