Au lendemain de législatives emportées à l'arraché par les socialistes, et après quatre années d'inimitié et de désaccords répétés entre le Parti socialiste (PSOE) et Podemos, les deux grandes formations de gauche ont scellé un accord historique. Cette «Union de la gauche» ouvre la possibilité d'un déblocage institutionnel du pays, sans exécutif stable depuis 2016, et où le vote du budget est chaque année reporté du fait de l'absence de majorité parlementaire.
Toutefois, alors que le panorama espagnol ressemble plus que jamais à une fragmentation à l’italienne, dans un pays dénué de tradition de coalition, le rapprochement inédit entre les chefs de file Pedro Sánchez et Pablo Iglesias se heurte à de sérieux obstacles face à la perspective de former un exécutif dans un futur proche.
Une alliance de principe
Il faut remonter à la deuxième République espagnole, c’est-à-dire avant le putsch du général Franco en 1936, pour voir la trace d’un accord entre forces de gauche. Depuis le retour de la démocratie, communistes et socialistes se sont toujours conduits comme chien et chat. Avec l’apparition en 2014 des radicaux de Podemos, les relations avec le Parti socialiste ont été marquées par un esprit de défiance et de rivalité. Les législatives d’avril ont donné la possibilité aux deux formations de s’entendre.
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Mais Pedro Sánchez avait refusé de céder à l'exigence du «podemita» Pablo Iglesias de former un gouvernement de coalition. Ce mardi, malgré la sensible différence en sièges (120 pour les socialistes contre 35 pour Unidas Podemos), le dirigeant socialiste a brusquement changé d'avis et paraphé avec le leader radical un document en dix points. Il s'agit certes d'un accord de principe mais qui, d'ores et déjà, ouvre la porte à un gouvernement de coalition, et stipule que Podemos disposerait de la vice-présidence et de trois ministères. «Depuis avril, dit l'analyste Anabel Diez, ils ont passé six mois à se chamailler sans arriver au moindre accord, et tout d'un coup, en vingt-quatre heures, ils parviennent à une entente. Il faudra un jour qu'ils nous l'expliquent !»
Un parcours d’obstacles
Si l’Espagne a toutes les chances de se consolider à gauche, la partie est loin d’être aisée. L’accord intervient alors que, conjointement, le Parti socialiste et Podemos ont perdu 10 sièges et 1,5 million de suffrages depuis les législatives d’avril. Sans toutefois parvenir à une majorité parlementaire (150 sièges sur 370), le bloc de droite s’est musclé : dégringolade des libéraux de Ciudadanos, mais hausse du Parti populaire (PP) et montée en puissance des populistes de Vox (ils s’alignent sur Orban en Hongrie, Le Pen en France et Salvini en Italie), qui doublent leur nombre de sièges, de 24 à 52, et deviennent la troisième force parlementaire.
Or, l’avènement de l’extrême droite espagnole réduit la marge de manœuvre de Sánchez : pour former un gouvernement sans difficulté, il aurait besoin de l’abstention du PP, mais les conservateurs, désormais talonnés par Vox, n’ont pas intérêt à favoriser un gouvernement de gauche. Outre Podemos, les socialistes peuvent certes convaincre une myriade de formations régionalistes mais, dans le meilleur des cas, ils obtiendraient 168 députés, sous la barre des 176 requis pour la nécessaire majorité. Résultat : un gouvernement n’est possible qu’avec l’abstention des indépendantistes basques de Bildu et catalans d’ERC.
L’épine catalane
Une nouvelle fois, le conflit politique en Catalogne est déterminant. Dans le décalogue conjoint socialistes-Podemos, ces «lignes maîtresses d'un programme de gouvernement pour quatre ans», selon l'expression de Pedro Sánchez, il est précisé que toute initiative liée à la Catalogne et à son défi sécessionniste «ne pourra se faire que dans le cadre de la Constitution». Autrement dit, pour la première fois, Podemos renonce à défendre la tenue d'un référendum d'autodétermination dans la mesure où les deux tiers du Parlement national n'y sont pas favorables. Ce qui n'empêche pas le leader du PP, Pablo Casado, de fustiger par avance «un gouvernement de radicaux qui se fichent de l'unité de l'Espagne».
Tout dépend désormais de l'attitude des indépendantistes d'ERC, les plus modérés du camp séparatiste catalan. Seule leur abstention donnerait à Pedro Sánchez la garantie arithmétique d'une majorité. Mercredi, les dirigeants de cette formation ont fait savoir que la condition préliminaire à cette abstention est «l'ouverture d'un dialogue avec Madrid sur l'autodétermination catalane». Une exigence dont Pedro Sánchez ne veut même pas entendre parler. Pour former un gouvernement, il devra toutefois en tenir compte.