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Libération
Interview

Felix Tshisekedi à Paris : «Le Congo fait encore peur»

De passage à Paris cette semaine, Felix Tshisekedi, président de la République démocratique du Congo (RDC), demande de l'aide pour son pays, miné par la corruption et la violence.
Le président congolais Felix Tshisekedi, lors du Forum de la Paix de Paris, le 12 novembre. (LUDOVIC MARIN/Photo Ludovic Marin. AFP)
publié le 14 novembre 2019 à 10h49

Qui est réellement Felix Tshisekedi ? Fils d’Etienne Tshisekedi, l’opposant historique décédé en 2016, cet homme affable de 56 ans est devenu fin janvier le président d’une nation-continent réputée incontrôlable. Il a réussi à surprendre tout le monde, en rompant le pacte des opposants à Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001. Puis en faisant alliance avec ce dernier, impopulaire mais toujours puissant, à l’issue d’un scrutin controversé. Depuis, Felix s’efforce de convaincre : qu’il n’est pas la marionnette de son ex-rival dont le parti tient pourtant l’Assemblée et la plupart des ministères régaliens du nouveau gouvernement formé en juillet, après sept longs mois de tractations. Et qu’il peut impulser, dans ce contexte ambigu, un réel changement dans un pays aussi vaste que l’Europe de l’Ouest.

Pour cette raison, il voyage beaucoup : plus d'une vingtaine de pays visités en moins d'un an. Comme s'il fallait s'assurer d'un rempart de partenaires pour aider son pays et peut-être aussi le soutenir lui, en cas de crise interne. Cette semaine, il était l'hôte d'honneur de la deuxième édition du Forum pour la Paix initié par Emmanuel Macron ainsi que de la Conférence de Paris, qui s'est tenue mercredi et jeudi au siège de l'OCDE. C'est là, qu'il a reçu Libération, entouré d'une dizaine de conseillers.

Qu’est ce qui a changé dans votre pays depuis votre arrivée au pouvoir ?

Mes nombreux voyages à l’étranger (sourires). Et plus sérieusement, le fait qu’aujourd’hui toutes les activités des partis politiques soient autorisées. Les cachots qui servaient à enfermer les opposants ne sont plus d’actualité. Les services secrets ont reçu l’instruction de ne plus faire obstruction aux droits des citoyens, et ceux qui sont tentés de le faire, ont été sanctionnés. Certaines de mes promesses sont engagées : la gratuité de l’enseignement primaire est effective, depuis septembre. Et mes nombreux déplacements dans la région ont permis de faire la paix avec nos voisins. J’ai été les voir pour leur dire que les tensions, les conflits, ça ne m’intéresse pas. On se parle différemment désormais. On est la pire région d’Afrique, il faut changer ça pour attirer les investisseurs.

Vous avez déjà annoncé 1,5 milliard de dollars (1,3 milliard d’euros) de promesses d’investissements. Le président Macron s’est engagé à apporter 60 millions d’euros d’aide à votre pays. Mais la RDC n’est pas un pays pauvre en principe. Pourquoi faire appel aux étrangers ?

Le Congo est potentiellement riche. Mais il nous faut des capitaux frais pour transformer ce potentiel. Pour renforcer nos capacités à mobiliser les recettes en interne. Les experts s’accordent à dire qu’il y a moins de 5 % des recettes qui arrivent dans les caisses du trésor public. Le reste s’évapore. Nous avons besoin des capitaux extérieurs pour booster nos circuits internes. Je ne fais pas l’aumône, je cherche des partenariats.

Mais ce qui bloque l’aide, c’est d’abord la corruption, qui effraye également les investisseurs comme l’a rappelé hier l’envoyé spécial des Etats Unis dans la région…

On s’attelle également à lutter contre la corruption. J’ai mis sur pied une agence de changement des mentalités. Car lutter contre la corruption dans notre pays ne se limite pas à des mesures coercitives, restrictives. C’est aussi une sensibilisation, il faut conscientiser les gens. Je vais également créer un organe pour la lutte contre la corruption, mais j’attends d’avoir l’expertise de pays qui sont avancés dans ce domaine. On en a parlé avec le président Macron. On va aussi mettre en place une structure pour améliorer le climat des affaires. Les investisseurs sont tous partis dans les pays voisins. Le Congo fait encore peur, il faut rassurer ! En même temps, ces investisseurs feraient bien de ne pas trop traîner. Ailleurs, on ne se pose pas tant de questions. Je pense à la Chine, déjà très présente chez nous, et aussi à la Russie qui a récemment promis de doubler ses investissements sur le continent en passant de 20 à 40 milliards de dollars (18 à 36 milliards d’euros) d’ici cinq ans. Trop de questions tuent aussi l’initiative.

Même dans la lutte contre l’épidémie d’Ebola, dans le nord-est du pays, 500 emplois fictifs ont été découverts. Allez-vous sanctionner le ministre de la Santé ?

C’est son prédécesseur qui est en cause. Il est déjà en résidence surveillée. Et j’espère que la justice ira jusqu’au bout. Mais il faut aussi réformer la justice pour la rendre plus efficace.

Vos nombreux déplacements à l’étranger sont parfois interprétés comme une façon de vous assurer des soutiens face à cette curieuse alliance avec votre prédécesseur, qui ne semble pas viable à moyen terme.

Elle est viable, même si en politique, les alliances se font et se défont au gré des conjonctures. Après, il faut se rappeler que le Congo, c’est soixante ans d’indépendance sans jamais aucune alternance pacifique. C’est la première fois que ça arrive, on n’a aucune référence sur laquelle s’appuyer. Il y a une équipe qui sort, qui dirigeait le pays depuis près de vingt ans. Ces gens-là ont pris des habitudes, gardent des réflexes. Dans le camp Kabila, certains n’acceptent toujours pas d’avoir perdu leurs privilèges. Et dans notre propre camp, certains n’acceptent pas de se coaliser avec ceux qui étaient hier encore nos bourreaux. Il y a quelques mois, ces gens-là étaient nos adversaires, on ne va pas soudainement se faire des bisous sur la bouche ! On nous avait annoncé un bain de sang pour ces élections, il n’a pas eu lieu. On affirmait que Kabila ferait passer son dauphin de force et ce ne fut pas le cas. Laissez-nous le temps et vous verrez dans cinq ans, dans dix ans, l’alternance politique au Congo, ce sera une routine.