Après un déluge de feu de 48 heures, la pluie de roquettes sur le sud d’Israël s’est très largement tarie - des tirs sporadiques subsistent, auquel les chasseurs israéliens ont répondu dans la nuit de jeudi. Les frappes de l’armée israélienne Tsahal ont fait 34 morts. En grande majorité des membres des brigades armées de Gaza célébrés en «martyrs» par leurs factions respectives, mais aussi leurs proches, trois femmes et huit enfants tués (1) dans la destruction ciblée des maisons de plusieurs gradés du Jihad islamique palestinien (JIP). On compte en outre une centaine de blessés dans l’enclave palestinienne.
Côté israélien, les dégâts sont minimes au vu du nombre de projectiles tirés (360 en deux jours) : un grenier détruit, une usine partiellement endommagée et un mini-cratère au milieu d'une autoroute. Nouvelle preuve de l'efficacité du système antimissile «Dôme de fer» et des unités chargées de l'interception des roquettes, célébrées en héros par le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou.
A première vue, cette énième «escalade» – comme le veut l'expression consacrée – entre Israël et les groupes armés palestiniens de la bande de Gaza a suivi un scénario identique à la dizaine de flambées de violence l'ayant précédé depuis un an et demi. Attaque à la roquette ou «opération» israélienne (en l'occurrence, ici, l'assassinat ciblé d'un commandant du Jihad islamique), raids aériens de Tsahal, riposte palestinienne, médiation au Caire sous l'égide de l'Egypte et de l'ONU, annonce d'un cessez-le-feu. Jusqu'à la prochaine fois.
Changement de doctrine
Et pourtant, ce micro-conflit – baptisé «Opération ceinture noire» par Israël – a entériné une nouvelle réalité jusqu'ici implicite. C'est le Jihad islamique qui, jeudi matin, a négocié, seul, le frêle cessez-le-feu avec Israël, le Hamas s'étant tenu à l'écart des hostilités comme des négociations. La conséquence d'un changement de doctrine israélienne : pour la première fois, les raids de l'aviation israélienne ont scrupuleusement épargné les installations des maîtres de l'enclave, alors que jusqu'ici, Tsahal les considérait comme responsable de toutes violences émanant de la minuscule bande de terre côtière.
Force est de constater qu'Israël, contrairement à son discours officiel, fait désormais le distinguo, à la vue de tous, entre «bons» et «mauvais terroristes», les pragmatiques et les fanatiques, le Hamas d'un côté et le JIP de l'autre. De son côté, le Hamas, malgré des communiqués de soutien fraternel à l'endroit du Jihad islamique, s'est comporté objectivement en allié d'Israël, laissant Tsahal abattre plusieurs commandants et sous-officiers de sa faction-sœur sans se joindre à la riposte.
Depuis plusieurs mois, à travers la presse, l'appareil militaire israélien distille une petite musique à longueur de points presse, décrivant le Jihad islamique comme le fauteur de trouble et principal obstacle à une trêve de longue durée entre Israël et le Hamas, lequel réclame en contrepartie un allégement du blocus.
Pour Tareq Baconi, chercheur à l'International Crisis Group et auteur du livre Hamas Contained (Stanford University Press, non-traduit), «la stratégie israélienne démontre que le Hamas respecte les accords de cessez-le-feu passés. Et ce malgré les efforts déployés par Israël pour continuer de diaboliser le mouvement dans le même temps afin de cacher une relation de plus en plus prévisible et stable entre les deux parties».
Levée du blocus
Néanmoins, l'analyste minimise la division entre le Jihad islamique et le Hamas, considérant que «les factions de Gaza ont été pour la plupart unies dans leurs tactiques militaires et capables de maintenir le calme», malgré le peu d'avancée obtenu sur une levée partielle du blocus.
«La raison principale pour laquelle le Hamas ne s'est pas joint aux échanges de feu, malgré un soutien tactique et dans le discours au Jihad islamique, c'est qu'il craignait d'être entraîné dans un engrenage incontrôlable et très dangereux pour lui et pour Gaza. Le Hamas s'est ici comporté comme un gouvernement, mû par des considérations pratiques, laissant le rôle du "résistant" au Jihad.»
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Ce qui n'est pas pour déplaire à la faction soutenue par l'Iran, qui tient à son image jusqu'au-boutiste, et peut se satisfaire à l'avenir de cette répartition des rôles. En revanche, Baconi estime que le Hamas a ici abîmé sa réputation, confirmant les accusations de «normalisation» de ses contempteurs les plus radicaux. Ainsi, une manifestation appelant à la poursuite des hostilités a eu lieu jeudi soir, à Khan Younis, au sud de la bande de Gaza, suivie par quelques tirs isolés de projectiles.
Micro-Etat ennemi
Du point de vue israélien, ce nouveau paradigme est l'une des retombées majeures de son opération. «Cette nouvelle différenciation est une opportunité, ce sont de nouvelles règles du jeu, estime le major-général réserviste Gershon Hacohen. Israël reconnaît de facto Gaza comme un Etat, failli certes, mais un Etat. Avec un interlocuteur à sa tête, le Hamas, qui donne des signes de volonté de changement.»
Cette vision est l'objectif à long terme de la droite israélienne : transformer Gaza en micro-Etat ennemi mais en sommeil, rendant impossible tout Etat palestinien unifié avec la Cisjordanie et mettant sur la touche Mahmoud Abbas. Israel Katz, le ministre israélien des Affaires étrangères, n'en fait pas mystère.
Quelques heures après l'annonce d'un cessez-le-feu, ce dernier a relancé sur Twitter son grand plan pour Gaza : la construction d'un îlot artificiel au large du territoire palestinien permettant l'import-export de marchandises et l'entrée et la sortie de ses résidents sans passer par Israël, en échange de la pacification de l'enclave. Ou comment faire de Gaza une «île-enclave», hermétiquement coupée d'Israël et d'un putatif Etat palestinien.
(1) Mise à jour : vendredi, l’armée israélienne a reconnu à demi-mot une bavure («nous pensions que la maison était vide»), alors que les voisins de la famille tuée démentent tous liens avec le Jihad islamique, et évoquent une erreur d’identification.