Le nombre effrayant de victimes n’y fait rien. La répression par le gouvernement du mouvement de protestation qui secoue l’Irak depuis début octobre a fait près de 330 morts. Malgré tout, des milliers d’Irakiens se trouvaient encore dimanche dans les rues de Bagdad et de plusieurs villes du pays pour soutenir la contestation et réclamer, via une grève générale très suivie, un changement de régime. Le reportage de notre envoyée spéciale est édifiant. Il faut imaginer un territoire grand comme un arrondissement de Paris, totalement occupé par les manifestants, libéré de toute circulation, une ville dans la ville quasiment auto-administrée. Avec, en son cœur, une place Tahrir dont le seul nom, qui rappelle la révolution égyptienne de 2011, suffit à faire rêver d’un printemps irakien.
Seize ans après la chute de Saddam Hussein, deux guerres civiles, des attentats à répétition, plus meurtriers les uns que les autres, le retrait des troupes américaines en 2011, une occupation partielle du territoire par l'Etat islamique, des gouvernements plus ou moins fantoches et en tout cas défaillants et corrompus, le peuple irakien se retrouve derrière ce slogan : «On veut un pays.»
Une revendication à la fois simple et vertigineuse. Simple au point de rassembler au-delà des clivages communautaires entre sunnites et chiites qui structurent pourtant le pays. Simple au point de vaincre la peur de la répression du régime. Simple au point de mettre à distance les deux puissances qui ne sont jamais loin du théâtre irakien : les Etats-Unis et l’Iran. Vertigineuse tant le chemin vers la constitution d’un Etat libre et indépendant semble pavé d’obstacles. Vertigineuse tant on se demande justement quel rôle les deux puissances en question jouent ou s’apprêtent à jouer devant ce printemps en novembre.