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Coulisses de Bruxelles

Macron s'oppose à la religion de l'élargissement

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En demandant à ce que l'intégration de futurs Etats à l'Union européenne soit réformée, Emmanuel Macron se retrouve pointé du doigt par des dirigeants des institutions communautaires et une bonne partie des gouvernements.
Emmanuel Macron et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, au forum de Paris pour la Paix, le 12 Novembre. (POOL/Photo Michel Euler. Reuters)
par Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles
publié le 18 novembre 2019 à 9h41

L’Europe est une religion. Comme telle, elle a ses dogmes et ses prêtres. S’éloigner de ses canons, c’est prendre le risque du blasphème voire de l’hérésie et de l’excommunication. Emmanuel Macron en a fait l’expérience en osant bloquer, lors du sommet européen du 18 octobre, le lancement de négociations d’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord. Le président de la République s’est attaqué à l’un des piliers de la pensée européenne – avec la rigueur budgétaire, le primat du marché et l’appartenance à l’Otan –, celui de l’élargissement sans fin de l’Union.

Depuis, tout ce que l'Europe compte de bien-pensants, des dirigeants des institutions communautaires à la plupart des médias en passant par une bonne partie des gouvernements, le vouent aux gémonies. Ainsi, le président sortant du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement, le Polonais Donald Tusk, a vertement critiqué, le 13 novembre, Emmanuel Macron en l'accusant d'affaiblir l'Union : «Il n'y aura pas d'Europe souveraine sans Balkans stables intégrés au reste du continent, et il n'est pas nécessaire d'être un historien pour comprendre cela.»

Réforme du processus

Le dernier à s'être risqué à interroger la politique d'élargissement a été Hubert Védrine, alors ministre français des Affaires étrangères. En 1998, à York, il avait demandé à ses quatorze collègues s'il ne fallait pas ralentir le rythme, l'Union n'étant pas institutionnellement prête à supporter l'adhésion en bloc de dix pays d'Europe centrale. La réaction fut unanime et violente, ses partenaires, notamment allemand et britannique, l'accusant de manque de solidarité, d'égoïsme, de refuser de s'acquitter d'une dette historique et on en passe. En sortant, Védrine confia à quelques journalistes : «Je m'y suis risqué et je ne recommencerai plus.» De fait, depuis cette date, l'élargissement est devenu téléologique.

Pourtant, aucun des problèmes soulevés par le passage de 15 à 28 Etats membres (et bientôt à 32 voire 35) n'a été résolu. Comme l'a expliqué Emmanuel Macron, «pourquoi ce qui ne marche pas à 28 devrait marcher à 30 ?» Il place ainsi l'Allemagne, l'un des plus farouches défenseurs de l'élargissement, devant ses responsabilités, elle qui, en même temps, veut réduire la taille du budget communautaire et s'oppose à toute réforme institutionnelle. Dans un «non-paper» – ces documents de travail officieux qui servent de base de négociations – envoyé la semaine dernière à ses partenaires, la France explique qu'elle ne veut pas bloquer l'élargissement pour l'éternité, mais obtenir une réforme du processus avant de donner son feu vert à l'Albanie et à la Macédoine du Nord.

Intégré graduellement

En particulier, elle souhaite que les négociations se déroulent non plus par «chapitre», mais par «bloc cohérent de politiques» afin de permettre au candidat de participer aux politiques sectorielles et aux financements ad hoc, y compris les fonds structurels : ainsi, il serait intégré graduellement au fonctionnement de l'Union afin de tester sa capacité à assumer ses obligations. C'est seulement s'il réussit à mettre en œuvre ces politiques et à pratiquer une «réelle convergence en matière économique et sociale» qu'il pourrait négocier un second bloc. Paris veut aussi que le processus soit réversible si un Etat ne respecte pas ses engagements. Macron sera-t-il le Luther de la construction communautaire ?