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Libération
Reportage

Hongkong : PolyU dans l’œil du cyclone

Alors que des élections sont prévues ce week-end sur le territoire semi-autonome, la situation reste tendue à l’université, devenue l’épicentre de la contestation antigouvernementale. De son côté, Pékin maintient la pression.
Des manifestants se rendent à la police, mardi. (Photo Aseouri. AFP)
publié le 19 novembre 2019 à 19h56

Claudiquant, exténués, genoux ou bras bandés, ils sortent au compte-gouttes de l’université polytechnique assiégée. Les mineurs, tête baissée, franchissent le périmètre de sécurité accompagnés d’un parent. Ceux de plus de 18 ans, sont escortés, main sur l’épaule, par la police. Pas un cri, pas une insulte, pas d’agressivité, ce surprenant «happy end» pacifique voulu par les autorités tranche avec la violence des arrestations filmées encore dans la nuit dans la péninsule de Kowloon aux rues ravagées par des heures d’affrontements. Le bain de sang redouté n’a pas eu lieu. Mais une poignée d’irréductibles reste encore retranchée dans le campus.

Axe stratégique

La nuit de lundi à mardi a été féroce et la résistance acharnée pour faire diversion et permettre des évasions, parfois spectaculaires. Plus de 200 manifestants ont aussi quitté le campus grâce à la médiation de l'ancien président du Parlement Jasper Tsang Yok-tsing. Dans les rues aux alentours, «on a voulu aider nos copains dans le campus, on a tout essayé. Mais c'est le chaos. La police arrête n'importe qui sauvagement. Je ne me sens pas bien du tout», témoignait dans la nuit une lycéenne terrifiée, réfugiée chez des habitants du quartier. Elle y est restée jusqu'au lever du jour. Dans ce quartier à la densité la plus élevée du territoire, «les lacrymogènes rentraient dans les appartements, même au douzième étage», assure un habitant. Au réveil, selon lui, «c'est Beyrouth».

Une étudiante, à sa sortie de l’université polytechnique de Hongkong, mardi.

A. Abidi Reuters

L'air est encore chargé de gaz lacrymogènes et les routes, bleuies par le produit chimique ajouté dans les canons à eau, sont encore un amas de briques cassées, de barricades, un champ de douilles et de cartouches tirées par la police. Devant la grille du commissariat de Tsim Sha Tsui, défilent des jeunes et des avocats à la recherche des manifestants arrêtés ces dernières heures. «Ça fait quinze heures qu'on est sans nouvelles de notre copine, raconte, angoissée, une étudiante, les larmes aux yeux. Elle n'est pas ici. On va devoir écumer tous les commissariats de Hongkong jusqu'à ce qu'on la trouve.» Comme souvent lors d'arrestations massives, «cela nous prend malheureusement tellement de temps de localiser les manifestants arrêtés, que dans l'intervalle les policiers prennent leur déclaration sans qu'ils aient aucune assistance légale, les mineurs y compris», explique Esmond Wong, membre du Progressive Lawyers groups qui assiste bénévolement les manifestants arrêtés.

La PolyU reste encerclée. A ses pieds, le tunnel autoroutier névralgique qui relie Kowloon au centre des affaires sur l’île de Hongkong est désespérément vide. C’était justement pour bloquer cet axe stratégique que les manifestants avaient depuis plus d’une semaine investi l’université, qui donne sur le péage. A quelques centaines de mètres de là, des parents en larmes sont sans nouvelles de leurs enfants, qui se trouvent probablement encore dans l’enceinte du campus. L’heure est aux tractations.

«Ne tuez pas nos enfants»

La cheffe de l'exécutif a décidé de jouer la carte de l'apaisement, offrant un «geste humanitaire». Elle s'était montrée peu efficace quand elle s'était voulue chantre du dialogue en septembre, au moment où elle retirait son projet de loi sur les extraditions vers la Chine, le déclencheur de la crise. Mais mardi, à cinq jours d'un scrutin qui a pris des allures de référendum contre les autorités, et alors que beaucoup criaient déjà à un Tiananmen bis, la dirigeante désignée par Pékin n'a eu d'autre choix que d'infléchir à nouveau le ton.

Enseignants, proviseurs, religieux ont ainsi pu se relayer auprès de la centaine de jeunes protestataires retranchés pour les exhorter à se rendre. «Beaucoup de ceux qui ont voulu sortir pacifiquement ont été arrêtés. Ceux qui restent ont peur. Laissez-les partir sans violence», implore ainsi pendant des heures le pasteur Pang, porte-parole d'un groupe de parents rongés d'inquiétude. «Certains sont de jeunes adultes, on n'a aucune prise sur eux», se désole un proche qui tient une pancarte - «Ne tuez pas nos enfants». Entre eux et le campus, à l'abri des regards, un ballet d'ambulances aux sirènes stridentes récupère les blessés de PolyU, des civières pénètrent dans le campus. Dans la matinée, 80 sont admis aux urgences, puis, au fil des heures 200 autres sont répartis dans des hôpitaux du petit territoire.

Les manifestants risquent jusqu'à dix ans de prison.

Photo A. Perawongmetha. Reuters

Malgré ce semblant d'accalmie, la crise n'est pas réglée. PolyU reste assiégée et le quartier touristique de Tsim Sha Tsui toujours en partie bouclé. Mardi soir, la police est montée d'un cran dans son arsenal de répression (camion à sons, grenades incapacitantes, tirs à balles réelles…) et maintenait «toutes les options ouvertes» pour venir à bout de «groupes extrêmement dangereux», et nettoyer les universités devenues des «arsenaux». Du reste, la clémence de mardi n'est que de façade. Les mineurs qui se sont rendus ne seront en rien épargnés par d'éventuelles poursuites judiciaires, ni à l'abri de condamnations pouvant aller jusqu'à dix ans de prison. Des milliers de manifestants étaient rassemblés mardi soir aux abords de la fac pour la seconde nuit consécutive. Surtout, Pékin, s'il contient son impatience et son envie d'intervenir par la force pour remettre au pas sa rebelle région administrative spéciale, multiplie les mises en garde de plus en plus menaçantes. De l'invocation de la constitutionnalité des lois locales jusqu'au recours, à terme, à «la résolution et [aux] pouvoir suffisants» de Pékin «pour mettre fin aux troubles».