Il a choisi Londres pour passer à la vitesse supérieure. L'ancien entrepreneur égyptien Mohamed Ali, devenu lanceur d'alerte, pourfendeur de la corruption du pouvoir égyptien et poil à gratter du Président, Abdel Fattah al-Sissi, a annoncé mercredi le lancement d'une vaste coalition de l'opposition pour coordonner les efforts pour «sauver la démocratie et l'économie de l'Egypte».
Au mois de septembre, depuis l’Espagne où il s’est réfugié il y a dix-huit mois, Mohamed Ali avait publié quotidiennement sur sa page Facebook une série de vidéos virulentes dénonçant la corruption en Egypte. Ses tirades avaient attisé des manifestations anti-Sissi inédites pendant plusieurs jours et dans plusieurs villes du pays. Ces rassemblements de plusieurs milliers de personnes, interdits depuis 2013 et le coup d’Etat militaire du général Sissi contre le président islamiste Mohamed Morsi, avaient entraîné une série d’arrestations. Les accusations de Mohamed Ali avaient suffisamment agacé et inquiété le général Sissi pour qu’il prenne la peine de réagir et démentir catégoriquement toute accusation de corruption.
Intonations passionnées
«J'ai moi-même été surpris par le nombre de personnes qui sont descendues dans les rues en septembre», a déclaré Mohamed Ali, 45 ans, lors d'une conférence de presse organisée par EgyptWatch, une plateforme médiatique basée à Londres. En costume sans cravate, très pâle et sérieux, il s'est exprimé en arabe, exposant soigneusement son plan, «préparer l'après-Sissi» en élaborant un programme économique à l'aide d'experts dans tous les secteurs, de la santé, de l'éducation, des finances ou encore des médias. Ensuite, espère-t-il, il soumettra aux Egyptiens ce programme, qu'il pense pouvoir dévoiler d'ici un mois et demi, à travers un référendum en ligne. A la question de savoir comment il garantirait l'absence d'interférence dans un référendum sur Internet, il a modestement expliqué «ne pas être un spécialiste et laisser le soin à des experts en informatique de répondre plus tard».
Mais sous le feu roulant des questions des journalistes, égyptiens et internationaux, il s'est peu à peu réchauffé. Il a retrouvé les intonations passionnées – peut-être pratiquées lors de sa courte incursion dans la carrière d'acteur – de ses vidéos sur les réseaux sociaux. «Beaucoup m'enjoignent à appeler à la révolution, mais la révolution ne mènera qu'au chaos, je préfère préparer la suite avec un programme de réformes précis», a-t-il affirmé, convaincu que ce futur programme séduira les Egyptiens et poussera Sissi au départ, «peut-être d'ici la mi-2020».
Il estime pouvoir rassembler les différents courants de l'opposition égyptienne, interne et en exil, quelles que soient leurs lignes, des Frères musulmans au Mouvement du 16 avril, fondé en 2008 et qui mena à la révolution de 2011 et la chute de Hosni Moubarak. Il affirme être en discussion avec tous, même s'il a refusé de nommer les protagonistes. «Sissi a eu du succès sur un point, il a réussi à créer la division parmi la population égyptienne et ce que nous devons faire, c'est rassembler, dit-il en s'échauffant. Nous construisons une opposition égyptienne unifiée, quels que soient les croyances et les agendas de chacun, pour définir un seul projet national.» Tous ont en commun au moins un point : «Le désir de voir partir le général Sissi.»
«Résidences somptueuses»
Mohamed Ali a insisté sur l'extrême pauvreté du pays, «qui touche un tiers de la population», alors que «la Banque mondiale estime que 60% des Egyptiens sont pauvres ou vulnérables» et le niveau d'éducation «est au plus bas». Par contraste, dénonce-t-il, le général Sissi continue à se faire construire «des résidences somptueuses». Il a mis en garde les Européens contre leur soutien trop appuyé au général Sissi. «Le mauvais management des eaux du Nil et l'imbroglio de la dispute avec l'Ethiopie autour du barrage de la Grande Renaissance représente une menace sérieuse pour l'Egypte mais aussi pour l'Europe», a-t-il prédit. «Une fois que les besoins élémentaires des populations, comme l'eau, ne seront plus remplis, leur première destination sera l'Europe», a-t-il prévenu. Le barrage est construit par l'Ethiopie, sur l'affluent du Nil bleu dans les hautes terres du nord de l'Ethiopie, d'où jaillissent 85% des eaux du Nil. L'Egypte craint que l'Ethiopie contrôle, à travers ce barrage, le débit du fleuve.
A la question de savoir s'il n'avait pas lui-même trempé dans ces milieux corrompus lors de sa longue carrière d'entrepreneur de travaux publics en contrat pendant quinze ans avec l'armée égyptienne, Mohamed Ali ne s'est pas démonté. Il a affirmé tirer sa légitimité du fait qu'il «a justement finalement exposé la corruption de Sissi». «J'ai vu de mes yeux comment ça fonctionne, sous la table. Si vous êtes sourd, aveugle et muet, tout va bien. J'ai travaillé avec eux et j'ai réalisé que c'était de la pure corruption.»