Mike Horn a l’habitude de se retrouver dans le pétrin. C’est le propre de sa vie d’aventurier. Mais cette fois-ci, le Sud-Africain de 53 ans semble dépassé. Après deux mois et demi de traversée de l’océan Arctique gelé à ski, son expédition pourrait tomber à l’eau. Il y a quatre jours, la glace s’est dérobée sous les pieds de son compagnon de route Norvégien, Borge Ousland. Les deux hommes prennent du retard sur la banquise instable et pourraient bientôt être à court de vivres. Environ 500 kilomètres, soit un tiers du trajet, restent à parcourir alors que l’expédition devait être bouclée mi-novembre. Ils excluent pour le moment tout rapatriement. En 2006, la paire avait réussi un périple similaire dans cette région du monde, sans assistance et sans difficulté majeure. Plus de dix ans plus tard, les conditions ont bien changé. La glace est plus fine, se fissure, dérive plus vite. Les variations de températures sont particulièrement marquées (de -2°C à -45°C). «C’est triste à dire, mais de toutes mes années d’explorateur professionnel, je n’ai jamais été aussi affecté par le réchauffement climatique», écrivait l’aventurier le 19 novembre sur Instagram.
Le changement climatique n'est pas responsable de tous les malheurs de Mike Horn. Seulement, il joue un rôle d'amplificateur dans un monde hostile où les conditions sont déjà défavorables. Pierre Rampal, glaciologue au Nansen Environmental and Remote Sensing Center de Bergen (Norvège) et à l'Institut de géophysique de l'environnement de Grenoble, explique à quel point cette mésaventure met en lumière le processus à l'œuvre dans le monde des glaces.
Les conditions sont-elles particulièrement inhabituelles en Arctique en ce mois de novembre ?
Cet automne, la glace s'est reformée très lentement, c'est un record. La banquise est comme un cœur qui bat. L'extension de la glace et son épaisseur sont à leur maximum au mois d'avril sur tout le bassin Arctique. Puis elle fond et rétrécit en été. Début novembre, l'étendue de la glace était à son minimum jamais enregistré. L'océan s'est beaucoup réchauffé cet été. Quand l'atmosphère a commencé à se rafraîchir l'eau était tellement chaude que cela a retardé la formation de la nouvelle glace. Mike Horn a dû marcher sur de la glace qui s'est reformée un mois plus tard que d'habitude. Concernant les variations de température, -45°C, c'est normal. Mais les -2°C sont des températures beaucoup plus douces que ce que l'on peut voir à cette époque de l'année. Ce que Mike Horn observe, c'est-à-dire des conditions différentes de ce qu'il a connu il y a une dizaine d'années, est tout à fait corrélé avec ce que l'on observe à plus grande échelle quand on regarde toute la banquise Arctique.
La glace qui devient plus fine, se brise et dérive rapidement… A quel point est-ce manifeste du changement climatique ?
C'est une illustration du réchauffement climatique intense qui a lieu en ce moment en Arctique. Cela se traduit en particulier par l'amincissement de la glace, de la banquise, qui devient plus fragile, se fracture et dérive plus rapidement. A l'endroit où Mike Horn est actuellement, quand la banquise était épaisse de 3 mètres au début des années 2000, elle est désormais de 1 mètre à 1,50m. En Arctique, l'épaisseur de la glace a été divisée par deux en moyenne. L'amincissement est énorme. Il arrive que proche du pôle Nord, l'été, il n'y ait plus de glace du tout. Il n'y a plus d'accumulation de glace d'une année sur l'autre, ça repart de zéro. Même quand l'étendue de glace a l'air continue, elle est assez fine et capable de se fracturer plus facilement. La fragmentation a augmenté de 150% en trente ans. Et la vitesse de dérive de la banquise s'est accélérée de 15% tous les dix ans pendant trente ans d'affilée.
Pourquoi le changement climatique est-il «plus perceptible en Arctique», comme l’affirme Mike Horn ?
L'atmosphère du pôle Nord, de l'Arctique, se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète en moyenne. Cela s'appelle l'amplification polaire. Nous avons plusieurs pistes pour l'expliquer. La première est liée à un phénomène atmosphérique : une intrusion d'air chaud qu'il n'y avait pas avant vers les pôles. La deuxième hypothèse est que l'océan se réchauffe. La banquise fond, se rétrécit aussi parce qu'elle se fracture davantage. Elle libère de la surface de l'océan, qui se réchauffe au contact de l'atmosphère. Il capte aussi les rayons du soleil – alors que la banquise les réfléchit – et libère une partie de sa chaleur vers l'atmosphère. Ces échanges de chaleur entre l'océan et l'atmosphère sont amplifiés selon la présence ou non de la banquise, qui joue un rôle de médiateur.